« L'expérience montre que, sans concertation, les industriels prennent un risque pouvant remettre en cause la réalisation de leurs projets. C'est pourquoi l'exigence de concertation doit être inlassablement rappelée, mais toutefois, nous devons proposer des solutions innovantes qui concilient à la fois la plus grande exigence en termes de participation citoyenne mais aussi qui puissent assurer aux porteurs de projets un cadre optimum pour que ceux-ci puissent continuer à investir en France », expose Bertrand Pancher, député de la Meuse, fondateur et président de Décider Ensemble, laboratoire d'idées créé en 2005, dont l'objectif est de « promouvoir et développer une culture commune du dialogue et de la concertation en matière de préparation et de prise de décision ».
Les législations face au risque se multiplient et, avec elles, les instances d'information. Mais suffisent-elles à rassurer ? Depuis l'accident de l'usine AZF en septembre 2001 à Toulouse, la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite « loi Bachelot », a institué la création des commissions locales d'information et de consultation – CLIC – dans tout bassin comprenant au moins une installation Seveso. Ces CLIC ont pour mission d'améliorer l'information et la concertation des différents acteurs sur les risques technologiques. Elles constituent aussi des lieux de débat sur les moyens de prévenir et de réduire les différents risques rencontrés. Depuis 2012, les CLIC, les CLI (non nucléaires) et les CLIS – commissions locales d'information et de surveillance – sont devenues des CSS – commissions de suivi des sites.
Défiance à l'égard de l'expertise savante
Les accidents industriels et les divers scandales sanitaires survenus ces dernières décennies tels que Three Miles Island en 1979, Tchernobyl en 1986, l'affaire du sang contaminé dans les années 90, et plus récemment l'explosion de l'usine AZF en 2001, ont tour à tour renforcé une certaine défiance à l'égard de l'expertise savante et des pouvoirs publics. A l'heure du déferlement technologique de centaines de milliers de molécules aux effets inconnus et d'objets de consommation courante contenant des nanocomposants, le principe de précaution invoqué par les citoyens et les autorités publiques s'impose-t-il réellement ?
Pour Raymond Cointe, directeur général de l'Ineris, « si l'on veut mettre de nouvelles innovations sur le marché, il faut faire très en amont une analyse de risques ». Il s'agit autant d'évaluer que de partager les résultats de ces évaluations afin de pouvoir éventuellement orienter la recherche et l'expertise. Le fait que ce ne soit pas toujours le cas, par exemple pour plus de 100.000 molécules chimiques diffusées dans l'environnement et expertisées a posteriori dans le cadre du règlement Reach, a pu alimenter la défiance de groupes de citoyens, défiance qui, selon le député Bertrand Pancher, pourrait entraver la « réindustrialisation » de la France. Ainsi, la concertation est-elle la clé de l'acceptabilité sociale des technologies émergentes : « L'enjeu est d'identifier les moyens permettant de ne pas faire peser sur les industriels de nouvelles contraintes tout en assurant aux parties prenantes et aux citoyens les conditions nécessaires à leur information et à leur participation aux processus de concertation les concernant », note l'étude conduite par l'association Décider ensemble (1) , présentée lors d'un colloque à l'Assemblée nationale co-organisé par l'Ineris et l'Union nationale des producteurs de granulats (UNPG) le 22 mai dernier.
Créer une expertise de l'expertise
Nourri de la réalisation d'enquêtes quantitatives, ce document énonce une multitude de propositions afin de renforcer la confiance vis-à-vis des processus de participation : assurer une « expertise de l'expertise » en distinguant clairement l'expert du décideur et en rendant impartiaux les avis émis, organiser en 2015 une grande campagne nationale de mobilisation et de sensibilisation de la société civile à la question des risques industriels, ouvrir le Conseil national de l'industrie aux représentants de la société civile et des collectivités territoriales, créer des structures de support à la concertation dans les territoires, articuler les structures de concertation avec le périmètre pertinent, par exemple pour le projet Cigéo, à cheval sur deux départements, s'inspirer de l'Instance régionale du débat public dans le Nord-Pas-de-Calais, fournir des appuis territoriaux aux industriels, « souvent désemparés lorsqu'ils ont à mettre en œuvre un processus de concertation », désigner, à cette fin, des référents au sein des collectivités territoriales...
L'étude pointe aussi les déficiences de l'Etat, en tant que garant de l'intérêt général : « L'industriel n'a pas la légitimité absolue pour répondre aux questions qui sont posées lors de la phase de concertation. Très souvent, une fois le périmètre du projet délimité, les questions qui reviennent le plus souvent portent sur la politique énergétique française. L'industriel reste très souvent dépositaire de la politique publique ; or, aujourd'hui, cette politique publique l'Etat ne l'assume pas».
Pour le sociologue Stéphane Castel, du Centre d'études en sciences sociales et appliquées, bureau d'étude associatif, il importe de définir l'efficacité d'un processus participatif selon des critères précis. C'est l'exercice auquel s'est livrée l'étude conduite en 2004 par Rowe et Frewer, chercheurs qui ont comparé 150 à 200 processus participatifs afin d'en tirer un ensemble de critères d'efficacité, parmi lesquels l'influence de ces processus, leur impact sur la résolution des conflits, la conscientisation des employés, la capacité de décision, l'effet sur les politiques publiques. Il en ressort que la confiance ne se décrète pas : « Il faut la susciter en tenant ses engagements, reconnaître qu'il y a une difficulté et parler clairement au public concerné ».