Le 24 juillet, à l'occasion d'une réunion avec les ONG environnementales, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, avait refusé de prendre position sur les gaz de schiste invoquant le débat sur l'énergie prévu à l'automne. De leur côté, les ministres concernés esquissent une position : s'ils ne plaident pas en faveur de la fracturation hydraulique, tout au moins dans sa forme actuelle, ils ne rejettent pas l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, s'est prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une réflexion sur les gaz de schiste, notamment lors de son audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 19 juillet dernier. Evoquant "des évolutions technologiques possibles", le ministre en charge des mines d'hydrocarbures conjointement avec l'Ecologie a estimé qu'"il faut mettre [la question de l'exploitation des gaz de schistes] sur la table et en débattre très tranquillement". Quant à Delphine Batho, la ministre de l'Ecologie, elle assurait le lendemain sur BFM TV que "rien dans l'agenda du gouvernement aujourd'hui n'envisage de revenir sur l'interdiction de la fracture hydraulique", se cantonnant à la loi de juin 2011 qui interdit la technique sans fermer la porte à une exploitation des gaz et huiles de schistes.
Des positions qui plaident en faveur du programme d'exploration dans le Bassin parisien proposé par la mission interministérielle (1) lancée par le précédent gouvernement. En attendant, les défenseurs comme les opposants aux gaz de schiste s'activent.
Qualité de l'eau francilienne
En première ligne depuis le rapport interministériel, le conseil régional d'Ile-de-France a adopté une position officielle (2) en juillet après lecture du rapport Risques potentiels de l'exploration et de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Ile‐de‐France (3) rédigé par son Conseil scientifique régional.
En premier lieu, la Région avance "des incertitudes très grandes" concernant divers aspects environnementaux et, estimant que des études indépendantes supplémentaires doivent être réalisées, elle "considère que l'amélioration des connaissances doit [s'appuyer sur les expériences] faites à l'étranger". Un projet de recherches dans le bassin parisien "n'est pas nécessaire" et la Région juge qu'"il n'est pas opportun" de mettre en œuvre les expérimentations scientifiques sous contrôle public, prévues par la loi du 13 juillet 2011.
De même, l'Ile-de-France insiste sur les "dangers avérés" pour l'eau, les infrastructures et le climat. S'agissant de l'eau, le conseil général replace la question dans le cadre des problématiques franciliennes et pointe le traitement de l'eau utilisée pour la fracturation hydraulique. Rappelant qu'il existe "déjà des tensions sur l'approvisionnement en eau", le conseil général souligne que "la part de l'assainissement a déjà dépassé la part de la production d'eau potable" dans le prix de l'eau francilienne. En conséquence, il "estime déraisonnable" d'investir dans la voirie et le réseau d'eau pour "ajouter la contrainte supplémentaire" à la gestion de l'eau et l'amélioration de sa qualité.
Enfin, les impacts positifs sont jugés incertains. "Le potentiel d'huile de schiste estimé comme exploitable en Ile-de-France (…) se situerait entre 80 et 800 millions de tonnes, soit l'équivalent d'environ 1 à 10 années de consommation de pétrole en France actuellement (85 millions de tonnes)", avance le conseil régional, estimant que "quand bien même l'exploitation était décidée, cela ne ferait que repousser de peu la nécessité du développement de la vraie solution: la transition énergétique".
Des arguments qui font recette
Côté pro-gaz de schiste, un rapport rédigé sous l'égide de l'AEGA il y a un an et mis en ligne sur un site de partage de fichier a attiré récemment l'attention. Relayé via Twitter, notamment par Michèle Rivasi, eurodéputée Europe Ecologie - Les Verts (EELV), le document titré L'intérêt du gaz de schiste pour la France (4) serait un "rapport de mission [confidentiel destiné à Total] pour une action de contre-information afin de faire basculer l'opinion française au sujet des gaz de schiste et de leur exploitation".
L'AEGE, un réseau d'experts en intelligence économique composé d'anciens élèves de l'école de guerre économique, explique pour sa part qu'il s'agit d'"un exercice d'étudiants". Quant au groupe Total, il confirme ne pas avoir commandé un tel rapport et indique lui aussi qu'il s'agit d'un travail d'étudiant.
Reste que le document pousse le réalisme jusqu'à explicitement évoquer une commande du groupe pétrolier français. L'objet du rapport est de présenter les principaux arguments des opposants avant de proposer une stratégie pour les contrer. En l'occurance, il recommande d'engager un débat apaisé tenant compte de la nécessaire protection de l'environnement et en refusant les décisions idéologiques ou partisanes.
Si cette proposition n'est pas d'une grande originalité, force est de constater qu'elle est aujourd'hui reprise. "N'enterrons pas le débat sur les gaz de schiste", titrait l'éditorial - non signé - du Monde du 25 juillet (5) , déplorant par ailleurs que "la France [ait] une position de principe". Cet éditorial, ainsi que d'autres articles publiés par Le Monde, ont engendré une polémique à laquelle Noël Mamère, député EELV de Gironde, a pris part dans les colonnes du quotidien du soir (6) . "Que serait un "débat" sur l'exploitation des gaz de schiste, si ce n'est une occasion de plus de cautionner une logique infernale inscrivant le destin de nos sociétés dans la dépendance à l'or noir ?", demande l'élu en réponse à l'éditorial du Monde.