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Recycler le béton dans le béton (4/4) : près de Chartres, la carrière de demain ?

En Eure-et-Loir, l'entreprise Poullard est capable de recycler des terres excavées et des bétons de démolition en matériaux adaptés à une utilisation dans de nouveaux bétons, sans limites d'incorporation.

TECHNIQUE  |  Déchets  |    |  C. Lairy
Recycler le béton dans le béton (4/4) : près de Chartres, la carrière de demain ?
Environnement & Technique N°399
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°399
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L'idée surgit en 2010, quand la baisse d'activité liée à la crise des subprimes pose la question des exutoires à donner aux bétons de démolition concassés par l'entreprise qui intervient également dans les travaux de VRD, de terrassement, de curage… Au terme de plusieurs années de recherches et d'essais menés avec le Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib), la société Poullard développe un procédé permettant, à partir de terres excavées et de bétons de démolition tout-venant, de produire des sables et des gravillons utilisables dans la production de nouveaux bétons, sans limites d'incorporation. « Nous savons que nous pouvons monter sans problème à 100 %, s'enthousiasme Stéphane Poullard, PDG de l'entreprise, avec des tenues dans le temps aussi bonnes qu'avec des matériaux de carrière, voire meilleures qu'avec du calcaire. »

L'originalité de la démarche, c'est qu'elle permet de s'affranchir de la qualité du gisement et de travailler avec des bétons de démolition de bonne ou de mauvaise qualité, mélangés ou pas avec de la brique, du bois, du plastique, du polystyrène... « Avec notre procédé, poursuit l'entrepreneur, on peut donc réceptionner des bétons tout-venant, travailler le sable, limiter la porosité du sable et du gravillon – porosité que l'on ramène à 5 % sur les gravillons, là où elle monte à 10, 13 ou 15 % quand on travaille à sec, et à 5 % également sur les sables. »

Travail sur la porosité

La porosité des matériaux est en effet un point crucial : « Si le sable et les gravillons produits sont trop absorbants, ils prendront toute l'eau destinée en principe au ciment quand on voudra les utiliser dans du béton, souligne Stéphane Poullard. Ce qui aboutira à un béton de mauvaise qualité, avec un ciment qui ne fera plus prise, ou mal prise. Comme nous maîtrisons l'absorption, l'eau ira bien hydrater le ciment, et les matériaux produiront un béton de bonne qualité. »

Un procédé complexe

La plateforme d'Amilly (28) réceptionne des terres de terrassement et des bétons de démolition à partir desquels sont produits du sable et des gravillons destinés à la fabrication de nouveaux bétons. Pour éviter de mélanger les deux gisements, elle alterne les campagnes « terres », au rythme de 50 à 90 t/h, et les campagnes « béton », qui traitent 130 à 140 t/h. L'objectif, toujours le même : séparer les fractions selon leur taille, autour de la valeur pivot de 63 microns (au-delà, le sable et les gravillons ; en deçà, les limons et les argiles).
Alternant lavage, concassage, criblage, de friction/attrition et de cyclonage, les lignes de traitement fournissent des gravillons et des sables prêts au réemploi dans de nouveaux bétons.
Mélangées à l'eau, les plus petites fractions terminent sur une ligne spéciale. Un floculant agglomère les fines, qui tombent au fond du clarificateur. L'eau propre est récupérée et renvoyée dans l'installation pour laver les matériaux entrants. C'est un circuit fermé où circulent 600 m3/h d'eau. Les boues tombées au fond du clarificateur sont pompées et envoyées au filtre presse pour séparer eau et fines. L'eau réintègre le circuit, les argiles sont données aux exploitants de terrains de motocross, aux paysagistes, aux agriculteurs, aux décharges. À terme, l'objectif de Stéphane Poullard serait de leur trouver d'autres voies de valorisation : dans des bétons, des ciments, des briques de terre crue…
Le procédé mis au point et breveté, une première installation voit le jour en 2015 à Poisvilliers, au nord de Chartres, avec une entrée en production début 2016 qui permet d'obtenir des matériaux de qualité, validés par le Cerib. La phase de commercialisation débute, avec des ventes au fabricant voisin de prémurs, Spurgin, et aux différents maçons de la région. « Petit à petit, on arrive à faire dans notre centrale des bétons avec 100 % de sables et gravillons recyclés, mais ce sont à l'époque des bétons non normés (1)  », rappelle Stéphane Poullard. Nous sommes en 2017, époque à laquelle l'entreprise entame les démarches pour obtenir la certification CE2+ pour ses granulats recyclés – certification qu'elle obtient en 2018.

Montée en puissance

En 2020, dix ans après l'éclosion de cette idée un peu folle – « à l'époque, on me prenait pour un extraterrestre », se souvient l'entrepreneur – le projet prend une nouvelle dimension avec l'aménagement d'un nouveau site, à Amilly. « À partir de bétons, on sortait 20 000 tonnes de matériaux lavés du précédent site, relève Stéphane Poullard. Le nouveau site peut aller jusqu'à 100 000-120 000 tonnes par an, avec deux sources d'approvisionnement : les terres de terrassement et les bétons de démolition. Pour l'instant, on n'atteint pas cet objectif. En 2023, on a fait 30 000 tonnes de matériaux lavés, et on vise 80 000 tonnes en 2024. » Avec un point mort estimé à 60 000 tonnes de matériaux lavés par an dans le business plan de l'entreprise, qui a investi 9 millions d'euros dans le nouveau site. « D'ici un ou deux ans, j'espère que l'on aura dépassé les 100 000 tonnes avec cette seule installation. »

Car l'intérêt des professionnels et des utilisateurs du béton ne se dément pas, il se confirme même : « Nous avons comme client Alkern, qui fournit avec nos matériaux une grosse partie de son usine de Saint-Georges-sur-Eure, près de Chartres. En plus de Spurgin, nous avons aussi Point P ou l'entreprise Rasori, qui utilise notre sable pour ses parpaings et autres produits. » L'installation d'Amilly héberge également une centrale à béton détenue en association par Poullard (45 %) et Chavigny (55 %), qui devrait cette année assurer des débouchés à 30 000 tonnes de matériaux produits sur place.

Surtout, avec la RE 2020, la norme évolue favorablement pour les recycleurs de terres et de bétons : « À partir de 2025 et, plus encore, de 2028, les matériaux recyclés deviendront quasiment incontournables (…). Au début, la FDES (fiche de déclaration environnementale et sanitaire) était vraiment tournée sur le carbone. Demain, elle sera calculée aussi à partir des économies de ressources, d'eau et d'énergie. » Et sur ce sujet, Stéphane Poullard a anticipé les choses : par exemple, le nouveau site accueille un bâtiment couvert de 1 400 m2 de panneaux photovoltaïques, qui couvrent 30 à 40 % des besoins énergétiques de l'installation, « assez gourmande en électricité », confesse l'entrepreneur – en particulier les équipements qui travaillent les matériaux.

Recycler aussi les ciments ?

Et le bouillant gérant entend bien pousser le recyclage du béton le plus loin possible. L'un de ses rêves ? Que son installation permette de faire un bloc de béton neuf à partir d'un ancien bloc de béton, « sans avoir quasiment rien remis dedans ». « Ici à Amilly, on maîtrise le granulat, insiste-t-il, mais on travaille avec le Cerib et Polytech Orléans sur la réactivation du ciment. Aujourd'hui, rien n'est fait, mais je crois en nous : on réussira à faire du ciment avec les fines de ciment ! C'est acté : aujourd'hui, on peut remettre dans les ciments 25 % des fines inférieures à 63 microns qui sortent de notre filtre presse. C'est un quart d'émissions de CO2 en moins ! Mais on n'a quasiment rien fait : on a pris les fines, on les a mélangées et on a vu que ça marchait ! Là, on attaque les choses sérieuses, et demain on y arrivera ! »

L'avenir dira si le nom de Poullard restera comme celui de l'entreprise qui aura bouclé la boucle du béton. Pour l'heure, c'est celui d'une famille fière de présenter « la seule centrale en France capable de produire du béton à partir de sables et de gravillons 100 % recyclés ». « Je pense même que c'est la seule en Europe », conclut son promoteur.

1. (1) Avant 2020, la norme interdisait l'usage de sable recyclé dans les nouveaux bétons, et imposait un plafond de 30 % d'incorporation de gravillons recyclés. À partir de 2020, à la suite notamment des travaux de Recybéton, elle autorise jusqu'à 30 % de sable recyclé et 60 % de gravillons recyclés dans les nouveaux bétons.

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