Si la connaissance des sols est imparfaite aujourd'hui , d'après Didier Rat, chargé de mission au bureau des sols et de l'eau du ministère de l'agriculture et de la pêche, les spécialistes s'accordent pour dire qu'il y a une dégradation de la qualité des sols, avec un discours plus ou moins alarmiste… Pour Dominique Arrouays, les sols ne sont pas morts, il y a encore des milliards de microorganismes dans le milieu. Mais des menaces existent néanmoins du fait de leur appauvrissement. La Commission européenne en a identifié 8 en 2002. Selon Dominique Arrouays, l'érosion et l'imperméabilité des sols due à une « bétonisation » des territoires constituent les principaux risques en France.
« Un grand département français disparaît tous les dix ans » sous le béton
L'aménagement des sols, l'étalement urbain et l'industrialisation ont modifié la structure des sols. L'urbanisation mènerait ainsi en France chaque année à la perte de 60.000 hectares de sol sous le béton, soit l'équivalent d'un grand département français qui disparaît tous les dix ans, selon Demonique Arrouays. Une tendance qui s'accélère aujourd'hui et qui pose des questions de concurrence des sols notamment avec la fonction nourricière de la terre. Cette « bétonisation » mène également à une imperméabilité des sols qui perdent ainsi leur fonction de tampon et de filtre. Ce ne sont pas tant les villes qui posent problème que ce qui va avec : parkings de supermarché, infrastructures de transport, industrialisation… explique le directeur d'Infosol-INRA.
L'érosion des sols, phénomène naturel, est lui aussi exacerbé par l'activité humaine. Ce phénomène constitue la principale menace en Europe (45 % des sols concernés) et en France (25 % des sols touchés). Selon l'INRA, la vitesse de formation d'un sol est de 0,1 à 0,02 mm par an alors que l'érosion moyenne exporte 1 mm de sol en un an. Si aujourd'hui l'érosion aurait tendance à diminuer en France du fait de l'augmentation des surfaces forestières, les grandes plaines limoneuses du Nord et du Sud Ouest sont particulièrement affectées par ce phénomène. L'érosion hydrique, causée par la pluie et le ruissellement, est la plus préoccupante.
La contamination au plomb, mercure et autres traces métalliques est quant à elle liée à l'industrie mais aussi aux transports. A 100 km autour de l'agglomération parisienne par exemple, s'étend une zone de contamination diffuse au plomb principalement liée à la circulation automobile. Si en France le constat n'est pas alarmant selon Dominique Arrouays, les zones urbaines et industrielles constituent néanmoins des points noirs. Enfin, les scientifiques se penchent aujourd'hui sur les polluants organiques persistants liés à l'utilisation de pesticides, des produits qui peuvent s'accumuler dans les organismes vivants et qui sont encore peu étudiés.
Agriculture intensive : asphyxie des sols et perte de diversité
La baisse des teneurs en matière organique, la baisse de la biodiversité et le tassement des sols sont quant à eux prioritairement imputables à l'agriculture intensive.
Ainsi, particulièrement en Lorraine, en Bretagne et en Franche Comté, l'intensification des pratiques agricoles mènent à une perte de matières organiques, ce qui influe directement sur la fonction de captage de gaz à effets de serre du sol. Un phénomène pas irrémédiable… Selon Dominique Arrouays, des études ont montré qu'en changeant les pratiques agricoles, on pouvait augmenter la présence des matières organiques et stocker dans les sols 2 à 3 millions de tonnes de carbone par an supplémentaires sur l'ensemble du territoire français. Le sol stockerait en France près de 3 milliards de tonnes de carbone dans les 30 premiers centimètres.
La baisse de la biodiversité dans les sols est une menace soupçonnée par les chercheurs. Un phénomène pas irrémédiable non plus : alors que les systèmes de culture intensive mènent à une perte de diversité, les systèmes de rotation augmentent la présence de microorganismes et la richesse du milieu.
Enfin, le tassement des sols, lié en partie à l'utilisation d'engins agricoles, mène à une perturbation des fonctions du milieu : filtration de l'eau, asphyxie des sols, échange de gaz à effets de serre… Si certains sols peuvent se restructurer naturellement ou grâce au travail de l'homme, d'autres, comme les sols limoneux pauvres en matières organiques, restent tassés.
Une problématique peu présente dans la réglementation
Le sol reste un milieu peu couvert par la science. Un grand inventaire devrait aboutir d'ici 2012 en France et accroître ainsi la connaissance sur cette problématique. La question de la protection des sols est également peu prise en compte par la réglementation. En France, il n'y a pas de réglementation globale et cohérente sur les sols, commente Didier Rat. On retrouve cette problématique dans la loi cadre sur l'eau, dans la réglementation relative à l'urbanisme mais la question de la protection des sols n'est pas au cœur de ces textes.
A l'échelle européenne, un projet de directive sur les sols est en discussion depuis plusieurs années, sans pour l'instant avoir abouti. Le dossier a été néanmoins remis sur la table des négociations lors de la présidence française de l'Union européenne et a été repris par la présidence actuelle. A suivre…