Faire de l'agriculture un levier majeur du stockage du carbone, dans le cadre du Green Deal européen et du Fit-for-55 : c'est l'une des deux priorités du ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, au cours de la présidence française de l'Union européenne. Un objectif que partage dans son principe la Commission européenne et martelé à de nombreuses reprises, lors du premier Conseil des ministres de l'Agriculture, le 17 janvier dernier, mais aussi à l'occasion de plusieurs autres réunions autour de cette question. « Le sol représente le deuxième puits de carbone après la mer », souligne le ministre français. Dans le but de massifier ces pratiques de Carbon Farming, Julien Denormandie mise sur la création de mécanismes de valorisation économique, autrement dit sur la vente de crédits carbone par les agriculteurs lorsqu'ils modifient leurs pratiques pour capter du CO2 et en mesurent les effets.
Un complément de rémunération
Un premier pas vers une obligation de résultats tangibles et non plus seulement une obligation de moyens, qui présente l'avantage de concilier valeur environnementale et valeur économique en apportant un complément de rémunération aux agriculteurs. De nombreux premiers échanges ont déjà eu lieu à ce sujet avec la Commission européenne, des experts des États membres et des représentants du secteur agricole pour mettre en place des pratiques concrètes et développer les outils financiers adéquats, notamment dans le cadre de la PAC.
Des critères à préciser
Cet autre volet devra lui aussi avancer, notamment sur la définition des critères à retenir, et aboutir à un consensus pour se concrétiser, à la fin de l'année, sous la forme d'une proposition de législation de la Commission européenne sur la certification de la séquestration. Dans le but d'éviter les effets pervers de ces nouveaux procédés, des choix devront, par exemple, être faits sur l'opportunité, ou non, d'ajouter dans la future taxonomie la production des autres gaz à effet de serre, comme le méthane ou le protoxyde d'azote, la biodiversité, la qualité de l'eau ou la réduction des intrants de synthèse, au lieu de se contenter d'une simple approche sur le carbone. Une démarche soutenue par la France. La comptabilisation des émissions sera, elle aussi, à préciser : à l'hectare, comme le défend l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), ou à la quantité produite.
L'exemple français pour s'inspirer
La France, qui bénéficie d'une longueur d'avance dans ce domaine, compte bien s'appuyer sur son expérience pour faire avancer les débats. Accompagnés dans le cadre du plan de relance, les diagnostics carbone sont, en effet, déjà en cours ou finalisés sur le territoire pour un millier d'agriculteurs. La France s'est également largement engagée dans l'initiative internationale « 4 pour 1000 » sur le stockage du carbone dans le sol. Depuis 2018, elle développe, par ailleurs, un label bas-carbone de haut niveau qui comprend déjà onze méthodologies, dont six en agriculture. Dans ce secteur, 160 projets ont été labellisés, pour 406 000 tonnes de carbone économisées.
S'il est pour le moment centré sur le carbone, le ministère n'écarte pas l'idée de lui associer des exigences en termes de biodiversité ou de protection de l'eau, malgré la difficulté de concilier de nombreuses injonctions contradictoires. « Aujourd'hui, nous avons des solutions que nous pouvons accompagner en les amplifiant », souligne Julien Denormandie. Afin de massifier l'offre, puis la demande, tout un écosystème reste cependant à finaliser : sur l'accompagnement technique des agriculteurs, l'agrégation des initiatives entre plusieurs exploitants ou plusieurs territoires notamment, ou sur les plateformes censées les accueillir, même si des acteurs commencent à émerger, comme My Easy Farm sur l'accompagnement ou France Carbon Agri pour la mise en œuvre de projets collectifs.
Un appel aux financeurs
La FNSEA annonce d'ailleurs finaliser la création d'une structure unique, de forme commerciale, avec les Jeunes Agriculteurs, les chambres d'agriculture et le réseau Epiterre. Son objectif : améliorer l'offre et vendre des crédits carbone et des crédits biodiversité, pour toutes les productions et tous les territoires. La future SAS intéresserait déjà une trentaine d'entreprises clientes. Dans l'espoir de stimuler le marché français, Julien Denormandie a lancé un appel aux institutions et aux entreprises. Dans un souci d'exemplarité, il a aussi promis que ses services compenseraient eux-mêmes leurs émissions de 2022 par l'achat de crédits carbone agricoles, via un appel d'offres de 400 000 euros, lancé en mars prochain.
Reste à savoir si la valorisation de ces crédits carbone sur le marché de la compensation volontaire – quelques dizaines d'euros la tonne aujourd'hui – suffira pour convaincre les principaux intéressés : les agriculteurs, que le ministre souhaite transformer en « soldats de la lutte contre le changement climatique ».