Les réseaux spécialisés dans les escroqueries financières de grande envergure continuent d'innover. Depuis 2016, les fraudes aux certificats d'économie d'énergie (CEE) constituent de "nouveaux champs d'opportunité pour les escrocs". Si le système n'est pas réformé pour la phase 4 qui débute en 2018, "il existe un réel risque que les sociétés fraudeuses éludent les sociétés saines et que les CEE indus se substituent aux CEE légitimes".
Tel est le constat dressé par Tracfin dans son rapport annuel sur les tendances et l'analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2016. Dans le document (1) , publié le 12 décembre, l'organisme en charge du traitement du renseignement et de l' action contre les circuits financiers clandestins explique "[avoir] observé une augmentation significative du nombre de dossiers en lien avec les fraudes aux CEE". Et de préciser que "l'Etat n'en subit pas directement les conséquences sur le plan financier, car il ne décaisse pas lui-même de fonds, [mais] les objectifs de politique publique poursuivis à travers ce dispositif ne sont pas atteints."
Un système vicié
Tracfin juge que les "délégataires", c'est-à-dire les sociétés auxquelles certains obligés délèguent tout ou partie de leurs obligations, "apparaissent comme les acteurs les plus sensibles du dispositif". Ces sociétés, intervenant notamment dans les secteurs du bâtiment ou des énergies renouvelables, sont susceptibles de présenter des dossiers fictifs, afin de bénéficier de CEE sans avoir effectué les travaux correspondants. L'organisme rappelle que la liste des sociétés délégataires est publique et recommande aux établissements financiers de placer en "vigilance renforcée" leurs clients qui y figurent.
Plusieurs facteurs rendent le secteur attractif pour les escrocs. Tout d'abord, le coût d'entrée sur le marché des CEE est faible car il suffit seulement d'obtenir la délégation d'un obligé. Ensuite, le contrôle de la réalité des travaux entrepris "est rendu difficile par le peu de données transmises par les sociétés demandeuses, en particulier lorsqu'elles ont recours à de la sous-traitance". En effet, "aucun document justificatif n'est transmis a priori" au Pôle national des certificats d'économie d'énergie (PNCEE). Les contrôles restent rares et le pôle ne dispose que d'une douzaine d'agents pour analyser les documents détaillés présentés par les entreprises auditées. Facteur aggravant : "même [si les contrôles] ont permis la détection de certaines fraudes, début 2017, le PNCEE n'avait pas encore prononcé de sanctions". Et de conclure que "le système est vicié", faute de contrôles suffisants et efficaces.
En outre, il est possible de maximiser les bénéfices obtenus frauduleusement grâce à "certaines dispositions du marché des CEE, qui incitent à l'opportunisme commercial". Pour cela, il suffit de se tourner vers les opérations qui offrent facialement des performances énergétiques élevées, pour un coût minime. Quant aux CEE "précarité", créés dans le cadre de la troisième phase du dispositif (2015-2017), ils "accentuent le risque de distorsion coût/bénéfice et donc l'incitation à l'arrivée d'acteurs mal intentionnés". Et de rappeler que le soutien aux foyers en situation de précarité énergétique représente un pactole d'environ 1 milliard d'euros sur deux ans.
Plusieurs millions d'euros
Le second exemple concerne un délégataire (société G) qui a revendu à d'autres délégataires pour plus de 13 millions d'euros de CEE en un an, dont 10 millions d'un client principal (société H) qui revendait les CEE à des obligés de taille importante. "La société G a transféré à l'aide de fausses factures plus de 7 millions d'euros à une société d'un pays d'Europe de l'Est, grossiste en meubles et en luminaires", explique Tracfin, précisant que la société G "paraît être l'unique client de la société d'Europe de l'Est". Une fois transférés en Europe de l'Est, les fonds se sont ensuite évaporés en Asie. Pour obtenir les CEE, la société G avait indiqué au PNCEE avoir réalisé 9.000 opérations auprès de 6.800 particuliers, par l'intermédiaire de 180 sociétés du bâtiment censées recevoir 90% de la valeur des CEE. "Or, aucune des 180 sociétés de bâtiment n'a confirmé avoir réalisé les chantiers, ni touché de primes."