Transition énergétique. Le terme renvoie souvent au choix entre différents moyens de production énergétique pour faire évoluer le mix énergétique selon des objectifs environnementaux, économiques et sociaux. Dans ce contexte, le débat se résume, à tort, en une comparaison des différentes options : plus ou moins de nucléaire, pour ou contre l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels ou encore recourir à telle énergie renouvelable ou à telle autre.
Pourtant, des choix moins visibles, mais plus structurants, distinguent les scénarios proposés. Parmi ces choix figure celui du vecteur énergétique, c'est-à-dire la forme énergétique utilisée entre le lieu de production et le lieu de consommation. En effet, une éolienne produit de l'électricité, mais un système énergétique basé sur l'éolien peut s'appuyer sur différents vecteurs : électricité, hydrogène ou méthane par exemple. Ce choix des vecteurs est un des axes permettant de distinguer les scénarios proposés lors du débat national sur la transition énergétique (DNTE) selon qu'ils misent plus ou moins sur le gaz ou l'électricité.
D'un côté, les scénarios de l'Union française de l'électricité (UFE), de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre) et de Négatep proposent de s'appuyer sur l'électricité en recourant aux sources de production décarbonées : le nucléaire et les renouvelables. De l'autre côté, les scénarios de GrDF, de négaWatt et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) proposent de s'appuyer sur le gaz en le "verdissant" grâce à la méthanisation, à l'incorporation d'hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable et à la méthanation. Autre avantage avancé, certains secteurs, notamment les transports, pourraient recourir à ce "gaz vert" sans être dépendants de progrès techniques futurs, comme c'est le cas pour les véhicules électriques ou à hydrogène.
Jouer la synergie entre les réseaux
Le principal argument en faveur du gaz est la capacité du réseau gazier, contrairement au réseau électrique, de stocker de grandes quantités d'énergie. Maintenir un recours important à l'électricité pour des usages non spécifiques, tel que le chauffage, impose soit de développer des solutions de stockage compétitives, si l'on souhaite alimenter le réseau avec des énergies renouvelables intermittentes, soit de recourir au nucléaire pour alimenter le réseau de façon massive et continue.
En revanche, le réseau gazier français actuel peut stocker jusqu'à 25 térawattheures d'énergie sous forme d'hydrogène, en incorporant 6% d'hydrogène dans le méthane. "Il est aujourd'hui possible de jouer sur la complémentarité entre les réseaux en convertissant de l'électricité en hydrogène ou en gaz", explique Benjamin Dessus, membre de Global Chance. Le réseau gazier pourrait ainsi stocker les excédents de production des énergies renouvelables électriques. La reconversion du gaz en électricité, si la demande électrique l'impose, ne posant aucun problème.
Le principal intérêt de cette approche est de limiter les investissements dans le réseau énergétique. "Des investissements ont été réalisés dans le réseau gazier, ils sont très importants et leur durée de vie est très longue", explique Benjamin Dessus, concluant "qu'il serait extrêmement coûteux de baser la transition énergétique sur le déploiement de nouveaux réseaux énergétiques".
Une production de gaz renouvelable
Concernant l'alimentation du réseau gazier, deux options sont disponibles sans recourir aux gaz non conventionnels ou aux importations.
La première est la méthanisation qui permet de produire du gaz à partir de matières fermentescibles. C'est l'une des solutions retenue par l'Allemagne qui a développé rapidement une filière de méthanisation agricole. "Il existe en Allemagne près de 7.000 unités de méthanisation, dont plus des deux tiers sont gérés par des agriculteurs", explique le ministère de l'Agriculture français, pointant le revers de la médaille : "[le] développement de cultures énergétiques, maïs essentiellement, sur près de 800.000 hectares (sur une surface agricole utile allemande de près de 17 millions d'hectares)". Pour éviter cet écueil, le ministère de l'Ecologie a présenté un plan de méthanisation (18180) axé sur les projets de taille intermédiaire. Parallèlement, le cadre règlementaire a été adapté (17934) de telle sorte que les producteurs de biogaz puissent profiter des tarifs d'achat électrique et du soutien à l'injection de méthane dans le réseau.
Autre option, la méthanation qui consiste à convertir l'électricité en méthane. Le principe repose sur l'électrolyse qui permet, à partir d'électricité, de séparer l'hydrogène et l'oxygène de l'eau. L'hydrogène peut être directement injecté dans le gaz ou converti en méthane par des procédés catalytiques basés sur la réaction de Sabatier qui utilise du CO2 et rejette de l'eau. Le CO2 peut provenir de diverses sources et notamment d'une unité de méthanisation, le biogaz devant être épuré de son CO2 avant injection. Ce type d'installation permettrait de mettre en synergie méthanisation et méthanation à proximité d'installations d'injection de biométhane dans le réseau gazier. Une piste actuellement expérimentée en Allemagne.
Le gaz peut être un bon choix pour la transition énergétique, plaident les acteurs qui militent pour axer la transition autour de la synergie entre les réseaux électrique et gazier pour atteindre à terme un système énergétique totalement renouvelable. Mais, attention, "un système énergétique reposant sur le gaz doit impérativement s'assurer que le réseau ne fuit pas pour être bénéfique du point de vue climatique", prévient Benjamin Dessus, rappelant que le méthane est un puissant gaz à effet de serre.