Par un arrêté publié en avril dernier, les ministres chargés de la Transition écologique et des Transports ont rendu éligible à la vignette Crit'Air les poids lourds, autobus et autocars utilisant exclusivement du biocarburant B100. Un carburant produit à partir de colza.
Quatre sociétés ayant des intérêts dans la fourniture de gaz pour le transport (Gaz'up, Primagaz, Proviris et Endesa Energia) ont formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, assorti d'une demande de suspension du texte. Par une ordonnance (1) du 1er septembre, ce dernier vient de rejeter cette demande de référé-suspension, faute d'urgence.
« Véhicules tout aussi polluants »
Pour obtenir la suspension d'une décision administrative, deux conditions doivent être réunies : une situation d'urgence et un doute sérieux sur sa légalité. Sur le premier point, les requérantes estimaient que l'arrêté portait gravement atteinte à la lutte contre la pollution de l'air et les nuisances sonores, et portait gravement préjudice à leur intérêt économique en occasionnant une rupture de développement de l'ensemble de la filière GNV-BioGNV. L'éligibilité à la vignette Crit'Air donne, en effet, un attrait supplémentaire au carburant B100 dans la mesure où cette vignette permet de circuler dans les zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m) ainsi qu'en cas de circulation différenciée lors des pics de pollution.
Quant à une éventuelle illégalité de l'arrêté, les requérantes estiment qu'il méconnaît plusieurs dispositions de la directive européenne du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'énergie renouvelable, du Code de la route et du Code de l'environnement. Le texte serait incompatible, à leurs yeux, avec l'objectif européen de diminution progressive des biocarburants de première génération. Les sociétés requérantes estiment également que les véhicules en cause appartiennent désormais à la catégorie de vignette la moins polluante en dépit de l'importance de leur niveau d'émission, alors qu'ils seraient tout aussi polluants que des véhicules à propulsion diesel classiques.
Contexte de forte hausse du prix du gaz
Le Conseil d'État rejette la demande de suspension des sociétés sans se prononcer sur la condition tenant au doute sérieux sur la légalité du texte. Il juge en effet que la première condition liée à l'urgence n'est pas remplie.
Pour établir cette urgence, les requérantes avaient fait valoir que la publication de cet arrêté avait provoqué un important mouvement de report des achats de véhicules fonctionnant au gaz naturel vers ceux fonctionnant au biocarburant B100. Ce qui porterait atteinte à l'impératif de limitation des émissions de polluants atmosphériques, ainsi qu'à la viabilité de la filière des stations-services distribuant du gaz naturel, les véhicules fonctionnant au biocarburant B100 s'approvisionnant auprès d'autres circuits.
Le Conseil d'État rejette le caractère d'urgence pour plusieurs raisons. Les sociétés requérantes ne produisent pas d'éléments précis permettant d'établir que l'évolution du marché des poids lourds porterait une atteinte à leur rentabilité d'une telle ampleur qu'elle pourrait caractériser cette urgence. Et ce, alors que l'évolution du marché peut être due aussi à la forte hausse du prix du gaz. La Haute Juridiction estime également que l'éventuel report sur les véhicules fonctionnant au B100 n'induirait pas, « par lui-même, une évolution des émissions de polluants de nature à caractériser une situation d'urgence ».
Reste pour les requérantes l'espoir que le Conseil d'État fasse davantage cas de leurs arguments lors de l'examen de leur requête en annulation. La décision est attendue d'ici à la fin de l'année.