« Une prime aux moins vertueux et une pénalisation des territoires ruraux ». C'est ce qu'a dénoncé le sénateur LR Jean-Baptiste Blanc à travers les dispositions du projet de loi climat relatives à la lutte contre l'artificialisation des sols qui doivent être examinées fin juin par la Chambre haute. Le sénateur s'exprimait au nom de la commission des affaires économiques à l'occasion d'une audition de la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon, le 12 mai dernier. Le même jour, cette commission publiait un rapport d'information (1) sur l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN), fruit de trois mois de travaux d'un groupe de travail dédié.
L'objectif ZAN en 2050 est inscrit dans le projet de loi tel qu'adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 4 mai dernier. Le texte contient également l'objectif intermédiaire de diviser par deux le rythme d'artificialisation d'ici 2030 et prévoit sa déclinaison par les collectivités territoriales à travers les documents de planification régionaux (Sraddet), puis les documents d'urbanisme communaux ou intercommunaux (Scot, PLU). La commission des affaires économiques du Sénat dit refuser l'approche « centralisatrice et coercitive » retenue par le Gouvernement. Elle propose, outre un meilleur accompagnement financier et fiscal, une territorialisation des objectifs et la prise en compte des contraintes locales. Ces dernières demandes semblent partagées par le Gouvernement à en croire les réponses d'Emmanuelle Wargon.
« Pas de phénomène unique d'artificialisation »
« Il n'existe pas aujourd'hui en France un phénomène unique d'artificialisation ou d'extension urbaine », soulignent les trois rapporteurs (2) . Les taux d'artificialisation des régions entre 2008 et 2018 s'échelonnent de 3,9 % en Corse à 21 % en Ile-de-France. Si l'on examine cette fois le rythme d'artificialisation, la Corse arrive en tête avec + 5,4 % sur la même période.
« Permettre la différenciation locale »
Face ces diversités de situations, les rapporteurs ne jugent pas pertinent de fixer un objectif unique de réduction de l'artificialisation au plan national. « Cette approche comptable et centralisée n'est pas acceptable », juge Jean-Baptiste Blanc. Le fait de décliner ces objectifs au sein des documents de planification régionale (Sraddet) selon une liste de critères précisés par décret ne lui paraît pas judicieux. « Il paraît inacceptable que soit renvoyée au décret une telle disposition, qui touche directement aux compétences respectives des collectivités territoriales », cingle le rapport. Ses auteurs demandent à ce que la détermination de l'objectif soit confié aux collectivités « en confiance ». Une confiance qui ne va pourtant pas de soi vu l'appétit foncier de certains élus locaux soumis à d'importantes pressions des acteurs économiques.
La commission des affaires économiques rejette aussi le caractère national de l'objectif en raison des efforts déjà consentis par certains territoires à travers leurs récents documents d'urbanisme (Scot, PLU). « Près de 60 % des Scot se sont déjà fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50 % au moins », indique la sénatrice centriste Anne-Catherine Loisier, co-rapporteure. « Un Scot plus vertueux au cours des neuf dernières années pourrait ainsi fixer un objectif un peu plus souple pour la période à venir, si les besoins du territoire le justifient », proposent donc les sénateurs.
Territorialisation en infrarégional
Pourtant, l'approche du Gouvernement ne paraît pas si éloignée des sénateurs à en croire les réponses de la secrétaire d'État aux sénateurs. Emmanuelle Wargon s'est dite « extrêmement sensible » à l'enjeu de territorialisation : « Tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins ni la même trajectoire, nous devons absolument tenir compte des efforts passés (…) et des enjeux spécifiques des territoires ruraux ».
Si la représentante du Gouvernement estime le niveau régional pertinent pour territorialiser, elle dit partager « le souci de la territorialisation en infrarégional ». « Il n'y pas de raison que ce soit – 50 % sur chaque territoire de proximité », ajoute Mme Wargon arguant de la possibilité de faire des réserves foncières pour de grands projets. « C'est une compatibilité, ce n'est pas une obligation de déclinaison », a-t-elle ajouté.
« Ça ne mènera pas à arrêter d'artificialiser », a conclu la secrétaire d'État au cas où les sénateurs n'aient pas été complètement rassurés. Il s'agit simplement de « commencer à considérer » qu'il s'agit d'une ressource « précieuse et rare ». Une approche bien éloignée des propositions de la Convention citoyenne qui a inspiré cette loi.