Dans un récent rapport de recherche intitulé « At Loggerheads? Agricultural Expansion, Poverty Reduction and Environment in the Tropical Forests » (l'expansion de l'agriculture, la réduction de la pauvreté et les écosystèmes forestiers tropicaux sont-ils inconciliables ?), la Banque mondiale s'est penchée sur la question. Selon elle, pour préserver les forêts tropicales et pour améliorer les perspectives économiques de millions de pauvres, il faut renforcer au plus tôt la gestion forestière dans les différents pays concernés. Ce renforcement va exiger des incitations financières fortes.
Dans son étude, la Banque mondiale explique que la relation entre déforestation et pauvreté est complexe. L'idée que la pauvreté engendre la déforestation par la création de terres agricoles n'est pas toujours exacte. Dans certains pays, la déforestation est souvent due à de riches propriétaires de ranchs et de plantations ou inversement à des ménages pauvres qui réussissent souvent à créer des exploitations agricoles rentables sur des terrains qu'ils avaient déboisés. Dans d'autres régions du globe comme en Amérique Latine, la forêt tropicale dense est souvent défrichée pour en faire des terrains de pâturages dont la valeur dépasse à peine 300 dollars US à l'hectare mais qui aboutit au rejet de CO2 dans l'atmosphère. Dans certains cas, la déforestation accentue la pauvreté en privant les populations de ressources. Selon Kenneth Chomitz, l'auteur principal du rapport, nous constatons que la déforestation est entraînée tant par les riches que par les pauvres et qu'elle peut être soit destructrice, soit créatrice de biens pour les pauvres. La Banque mondiale explique ainsi qu'il existe une multitude de cas mais que globalement c'est l'appât du gain qui est toujours à l'origine de la déforestation qu'il soit réel ou non.
Partant de là, la banque mondiale souhaite redonner de la valeur aux forets pour éviter la déforestation. Tandis que certains paysans déboisent et rejettent du CO2 pour gagner à peine quelques centaines de dollars, au même moment, dans les pays industrialisés, des entreprises industrielles payent plusieurs fois la valeur de ces terres déboisées parfois plus de 7500 dollars dans le but de respecter leur engagement de limiter leur volume d'émission de dioxyde de carbone. Le rapport affirme donc qu'un système de financement de la réduction des émissions de CO2 dues à la déforestation, autrement dit un « marché du carbone d'origine forestière », pourrait changer la situation. L'idée est de faire comprendre par des mécanismes financiers que les arbres vivants ont plus de valeur en stockant le carbone, qu'ils n'en auraient s'ils étaient brûlés et transformés en champs improductifs, explique Kenneth Chomitz. Mais aujourd'hui, les riverains de la forêt ne sont pas en mesure d'exploiter cette valeur, déplore-t-il. Ainsi pour François Bourguignon, Économiste en chef et Vice-président, Économie du développement à la Banque mondiale l'existence d'un marché du carbone forestier pourrait motiver l'arrêt de la déforestation. Selon le rapport, la valeur de ces forêts pourrait être cinq fois supérieure si elles étaient préservées et servaient à stocker le CO2 plutôt que défrichées et brûlées. Si les pays en développement pouvaient tirer parti de cette valeur, ils pourraient alors encourager une agriculture plus productive dans les zones déjà dégradées tout en préservant l'utilité environnementale des forêts. Selon Katherine Sierra, Vice-présidente du Développement Durable auprès de la Banque Mondiale, le temps est venu de réduire la pression sur les forêts tropicales grâce à un cadre complet qui intègre la gestion raisonnée des forêts au sein de la stratégie globale d'atténuation du changement climatique et de préservation de la biodiversité.
Mais les marchés carbone actuels n'exploitent que très peu les bénéfices potentiels du C02 liés aux forêts. Le rapport examine donc les obstacles qui freinent leur utilisation comme instruments de réduction de la déforestation et propose des solutions possibles. Le rapport comprend ainsi un cadre simple pour analyser les politiques en identifiant trois catégories de forêts : les zones frontières ou faisant l'objet de litiges, les terres situées au-delà des grandes régions agricoles et les « terres-mosaïque » où coexistent l'agriculture et la forêt. Le rapport réunit, pour chaque catégorie, des informations économiques et géographiques qui pourront servir de base à la formulation de politiques forestières visant à réduire la pauvreté. Mais pour chaque catégorie de forêts, le rapport dégage des priorités distinctes au sein desquelles les incitations à la déforestation, l'isolement des zones, les droits forestiers et l'environnement interagissent de façon différente.
Ainsi dans les zones frontières et litigieuses, la banque mondiale estime qu'il est crucial de définir et de garantir les droits forestiers afin d'atténuer la déforestation, de réduire les conflits et d'améliorer l'existence des ruraux. En effet, des millions d'habitants manquent de droits forestiers, ne disposent pas d'un régime foncier stable ni d'un accès aux ressources forestières ce qui les empêche de commercialiser les produits forestiers.
Dans les zones situées au-delà des régions agricoles, comme les bassins de l'Amazone et du Congo et les régions centrales de Bornéo, de la Nouvelle-Guinée et de Sulawesi, le principal défi selon la Banque Mondiale est d'agir vite pour parer les conséquences sociales et environnementales de l'expansion de l'agriculture à venir.
S'agissant des terres-mosaïques souvent négligées et où l'intégration entre les hommes et les arbres est extrêmement étroite, le rapport suggère notamment de rémunérer les programmes relatifs aux services liés à l'environnement. Par exemple, un projet entrepris sous l'égide du Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM) en Colombie, au Costa Rica et au Nicaragua paie les agriculteurs pour entretenir leurs forêts et déplacer leur bétail de zones de pâturage dégradées vers des systèmes d'agroforesterie avantageux en termes de marché carbone et favorable à la biodiversité.
La banque mondiale estime également que des technologies et des institutions nouvelles pourraient aider les pauvres à contrebalancer la puissance d'intérêts souvent divergents qui tendent à accaparer les ressources forestières. Au Cameroun, par exemple, les concessions forestières sont attribuées par une vente aux enchères supervisée de façon indépendante pour assurer le respect de la loi. Une partie des redevances forestières est distribuée aux communautés indigènes et des organisations non gouvernementales surveillent la façon dont les concessionnaires prennent soin des forêts qui leur ont été confiées, grâce à des images satellite et à des visites de terrain. Ces technologies et ces institutions pourraient aussi aider la société à harmoniser ses objectifs de développement régionaux et environnementaux.