Le Protocole de Nagoya (Japon) sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages (APA) découlant de leur utilisation entrera en vigueur le 12 octobre, soit 90 jours (1) après le dépôt du cinquantième instrument de ratification. Sur les 92 signataires (2) , 41 Etats, dont la France, n'ont pas encore ratifié le protocole.
Ce protocole, adopté en 2010, est adossé à la convention des Nations Unies sur la diversité biologique de 1992. Il vise à répartir équitablement les avantages, notamment commerciaux, issus de l'exploitation des ressources génétiques et des savoirs traditionnels.
La nature est source d'inspiration pour plusieurs secteurs de l'économie, tels que la biotechnologie, l'agriculture ou l'industrie pharmaceutique. Or, cette biodiversité n'est pas hors-sol mais située, et ce territoire fait le plus souvent partie d'un Etat. En matière de ressources génétiques, il y a donc un Etat "fournisseur "et une entité bénéficiaire.
D'apparence simple, cette situation amène des réponses complexes, dont le Protocole de Nagoya constitue une étape-clef. La France est concernée, dans sa double qualité de fournisseur, en particulier via la biodiversité ultra-marine, et de bénéficiaire des ressources génétiques.
Donner un prix à la biodiversité pour mieux la protéger
"Les avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et des applications et de la commercialisation subséquentes sont partagés de manière juste et équitable avec la Partie qui fournit lesdites ressources", prescrit le protocole (3) . L'Etat fournisseur est soit "le pays d'origine de ces ressources" soit "une partie qui a acquis les ressources génétiques conformément à la Convention (4) ", précise l'article.
Ainsi, cette éthique de la biodiversité répond à des problématiques économiques tangibles. Par exemple, en 2006, 25% des 640 milliards de dollars américains du marché pharmaceutique reposaient sur l'utilisation de ressources génétiques, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) (5) . L'enjeu est similaire pour les enzymes et micro-organismes à la base des biotechnologies. De plus, toutes les semences agricoles s'appuient sur les ressources génétiques.
Les savoir-faire traditionnels protégés juridiquement
Au-delà des ressources génétiques elles-mêmes, les savoirs traditionnels sont également visés par le protocole. Ces pratiques, parfois ancestrales, sont ainsi protégées par ricochet, en ce qu'elles permettent de révéler le potentiel d'une ressource génétique. Ce lien entre ressource et savoir est très visible dans le domaine médicinal. A ce titre, ces traditions doivent elles aussi donner lieu à un partage des avantages découlant de leur utilisation.
Dès lors, cette clause du partage des avantages présente le double intérêt d'introduire de l'équité face à l'accaparement commercial des ressources génétiques, et d'inciter les Etats fournisseurs à préserver leur biodiversité. Celle-ci devient en effet une source directe de revenus et de développement, sans qu'il soit besoin de passer, par exemple, par la notion de service écosystémique ou par les chiffres du tourisme.
Un lien "ressources génétiques – produit" qui reste à définir
Toutefois, le lien entre le produit source de profits et la ressource génétique est plus ou moins fort selon les cas. Par exemple, "si des molécules chimiques trouvées dans les végétaux servent de prototype pour une composante active d'un produit", le lien est fort, explique l'UICN. Il en va de même si "des extraits de végétaux (matériel brut) deviennent la substance active du contenu d'un produit", dans l'hypothèse d'un médicament, cosmétique ou supplément diététique naturel. A l'inverse, le lien sera faible si une "molécule trouvée dans un organisme végétal nécessite d'être modifiée en plusieurs étapes avant d'être incluse dans un produit", ou si la fonction d'un organisme est imitée. En revanche, il n'y aura pas de lien entre le produit et les ressources génétiques si celles-ci sont simplement des "outils dans la recherche et le développement" en étant, par exemple, "utilisées en tant que catalyseur", précise l'UICN.
Or, le protocole de Nagoya n'apporte pas de réponse à ces subtilités, dont on ne sait pas comment elles influeront sur l'importance des partages d'avantages, notamment monétaires. Les négociations à venir et leurs traductions juridiques devront donc être particulièrement riches pour apporter une réponse concrète et efficace à ce que l'on a coutume d'appeler la "bio-piraterie". Ainsi, l'Union européenne a déjà adopté un règlement encadrant la mise en œuvre du protocole, le 14 avril.
Une liste d'avantages non limitative
L'annexe du protocole prévoit une liste non limitative des avantages monétaires et non monétaires qu'il faudra désormais partager. Parmi les avantages monétaires, on trouve notamment les "paiements initiaux", les "paiements de redevances", les "droits de licence en cas de commercialisation", le "financement de la recherche" ou encore la "copropriété des droits de propriété intellectuelle pertinents".
S'agissant des avantages non monétaires, le protocole cite entre autres le "partage des résultats de la recherche et de la mise en valeur", la "participation au développement de produits", la "collaboration, coopération et contribution aux programmes de recherche scientifique et de mise en valeur" et l'"accès aux installations de conservation ex situ de ressources génétiques et aux bases de données".
En outre, cet échange d'avantages sera facilité par la création d'un Centre d'échange (6) sur l'accès et le partage, qui servira de "moyen de partage des informations relatives à l'accès et au partage des avantages".
Ainsi, l'objectif est de créer une véritable dynamique entre le pays fournisseur et l'exploitant de la ressource génétique. Il s'agit de créer un effet d'entraînement grâce à la place faite à la collaboration scientifique. Cette émulation aura ainsi des effets concrets sur l'appropriation de ses ressources génétiques par le pays fournisseur. Par exemple, le protocole évoque le "renforcement des capacités en matière de transfert des technologies", ou encore la "formation relative aux ressources génétiques avec la pleine participation des pays qui les fournissent et, autant que possible, dans ces pays".