Elles étaient déjà présentes avant la finalisation de la planification écologique : dans les couloirs des ministères ou des assemblées parlementaires, dans certains groupes de travail… Elles le sont toujours pendant les débats budgétaires. Elles le seront encore ensuite. Les associations du Réseau Action Climat (RAC) l'ont assuré, mardi 3 octobre, lors d'une conférence de presse commune, symboliquement organisée à proximité de l'Assemblée nationale : elles ne « lâcheront rien » et continueront à mettre en avant leurs propositions, à alimenter les discussions, tout en scrutant « chaque prise de parole ». Car en matière de lutte contre les changements climatiques, « chaque degré compte », martèle Anne Bringault, directrice des programmes du RAC.
Or, pour ses membres, la planification écologique présentées par le président de la République le 25 septembre dernier est loin d'être à la hauteur. Au-delà des mesures techniques, ils critiquent son absence de portage politique et son manque de vision claire. « Le compte n'y est pas », résume Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, regrettant l'absence de changements structurants, nécessaires pour transformer la société et l'inscrire dans une trajectoire cohérente avec l'Accord de Paris. « On nous dit que l'on va pouvoir faire une transformation radicale de la société sans rien changer (…). Mais tant que l'on restera sur cet axe, ce sera très compliqué d'avoir une vraie politique de planification écologique ambitieuse », explique Élise Naccarato, responsable campagne et plaidoyer climat d'Oxfam France.
Le financement en question
Du côté de Greenpeace, on déplore notamment l'incapacité de la France à sortir des énergies fossiles, comme à réformer son modèle agricole, son retard en matière de développement des énergies renouvelables ou son ambiguïté sur le glyphosate. Au sein du Cler, on souligne l'accent mis sur le changement de modes de chauffage et sur les monogestes plutôt que sur les rénovations performantes en matière de logement, ainsi que l'absence de pérennisation du service public de la rénovation de l'habitat, sans visibilité pour 2024. Quant à France Nature Environnement (FNE), elle note surtout le manque de volonté de transformation des modes de production et de consommation pour favoriser plus de sobriété. Un parti pris particulièrement visible dans le secteur de la mobilité où les véhicules électriques les plus lourds échappent encore au malus poids existant. « Or, un véhicule électrique de 1 900 kilos a le même impact carbone qu'un véhicule thermique de 1 000 kilos, remarque Michel Dubromel, copilote du réseau énergie de l'association.
Plus de cohérence et de justice
Une frilosité d'autant plus critiquée par les ONG qu'elles identifient bien d'autres sources de revenus auxquels l'État pourrait faire appel. À commencer par la réorientation vers la transition de l'argent public accordé aux projets néfastes pour l'environnement et la biodiversité : des projets publics, comme les grands programmes autoroutiers contestés, ou les aides accordées aux entreprises particulièrement émissives. Le RAC évalue la cagnotte à 22 milliards d'euros en 2022. D'où sa proposition d'imposer des écoconditionnalités aux grandes entreprises destinataires de subventions de l'État, comme les crédits recherche et autres aides directes : production d'un bilan carbone complet, trajectoire de décarbonation et plans d'investissements cohérents avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Des recettes pourraient aussi provenir d'une révision de la fiscalité, en taxant par exemple l'aviation au même niveau que les autres modes de transports. Renoncer à la réduction de la TVA appliquée aux billets d'avion et à son exemption de taxe sur le kérosène rapporterait à l'État jusqu'à 7 milliards d'euros par an, estime Élise Naccarato. Une enveloppe qui pourrait notamment être réinvestie dans le train : réouverture des petites lignes, ferroviaire du quotidien, fret… « Il est absolument anormal, dans un monde où le changement climatique détruit la vie de personnes, que l'aviation (…) ne paie pas le prix de sa pollution », s'insurge Anne Bringault.
ISF vert et taxation des superprofits
Autre piste explorée par le RAC : « demander plus aux acteurs à qui la transition coûte le moins et demander moins à ceux à qui elle coûte le plus ». Les associations préconisent ainsi un élargissement du malus poids actuel des voitures : à partir de 1 300 kilos pour les véhicules thermiques et de 1 100 kilos pour les véhicules électriques. De quoi rendre les automobiles les plus lourdes moins désirables, tout en aidant mieux les ménages à faibles revenus à accéder à une mobilité durable. Un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) vert, indexé sur l'empreinte carbone du patrimoine financier des personnes, offrirait par ailleurs à l'État un revenu de 17,6 milliards d'euros par an.
Quant à une taxation des superprofits, notamment des entreprises les plus polluantes, elle lui apporterait 8 à 12 milliards supplémentaires. Juste ce qu'il faut pour rénover un million de logements. « TotalEnergies a généré 20 milliards de bénéfices nets en 2022, dont 13 milliards de superprofits, remarque Soraya Fettih, chargée de campagne France pour 350.org. Taxés, ils auraient rapporté entre 800 millions et 2 milliards d'euros à l'État. » Mais trouver des financements ponctuels ne suffit pas. Leur assurer un minimum de pérennité s'avère tout autant nécessaire aux acteurs de terrain. C'est tout l'intérêt de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour la transition réclamée par le RAC comme par d'autres organismes tels que l'institut I4CE.
Des budgets financés sur plusieurs années
Si son principe est pour le moment refusé, les députés ont néanmoins réussi à imposer à l'État, par un amendement de la loi de programmation des finances publiques, l'obligation de transmettre chaque année au Parlement, à partir de 2024, une stratégie pluriannuelle définissant les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale. Dans l'idéal, le document devrait graver dans le marbre le verdissement des différents champs de dépenses publiques, les moyens dévolus aux opérateurs publics pour la transition écologique, les aides aux collectivités territoriales et aux ménages et les objectifs de réduction de dépenses publiques néfastes pour le climat et la biodiversité.
« Mais sur la question méthodologique, tout reste à définir, indique Émeline Notari, responsable politiques climat au RAC. Il faudra notamment s'assurer qu'il n'y ait pas une surinterprétation des investissements privés de la part de l'État, que les dépenses néfastes pour le climat soit bien prises en compte et définir comment on accompagne les collectivités sur le volet territorialisation de la planification. » Un chapitre financier devrait également compléter la loi Énergie-climat. Cette communication devrait permettre au Gouvernement et au Parlement d'anticiper les besoins d'argent public, en offrant une visibilité à court terme au secteur privé et aux collectivités locales, principaux financeurs de la transition. « Les collectivités ont besoin de sécurité dans leur financement, observe Michel Dubromel (FNE). Elles insistent aussi depuis de nombreuses années pour sortir de la logique des appels à projets. »