Un projet d'arrêté (1) visant à décaler du 31 janvier au 10 février 2014 la date de fermeture de la chasse de l'oie cendrée, de l'oie des moissons et de l'oie rieuse, est soumis à la consultation du public jusqu'au 28 janvier sur le site du ministère de l'Ecologie (2) .
Ce projet ravive les tensions entre associations de protection de l'environnement et représentants des chasseurs.
Une tentative retoquée en 2012
Ce projet peut paraître étonnant dans la mesure où le Gouvernement précédent avait souhaité faire la même chose mais s'était heurté à plusieurs reprises à la justice administrative. Par une décision de décembre 2011, le Conseil d'Etat avait contraint le ministère de l'Ecologie à fixer une date de clôture de la chasse (3) aux oies antérieure au 31 janvier, la directive de 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages fixant un objectif de protection complète des espèces durant la phase de retour vers leur lieu de nidification.
Pour contourner cette interdiction, la ministre de l'Ecologie de l'époque avait pris un arrêté le 3 février 2012 autorisant un prélèvement d'oies à titre dérogatoire à des fins scientifiques. Ce qui n'avait pas plus convaincu le Conseil d'Etat qui avait annulé l'arrêté, relevant que les prélèvements autorisés ne s'inscrivaient dans aucun programme de recherche qui aurait permis une dérogation à l'application de la directive européenne.
Population d'oies cendrées en forte expansion aux Pays-Bas
Les choses auraient-elles changé depuis 2012 ? Oui, répond le Gouvernement. "La population des oies cendrées est en forte expansion, plus qu'aucune autre espèce d'oiseau chassable, en raison notamment des modifications d'habitats et des pratiques de chasse", explique le ministère de l'Ecologie. Ce dernier prend soin d'indiquer qu'un programme national d'étude, reposant sur un protocole scientifique réalisé par l'ONCFS (4) dont le cahier des charges a été validé par le Geoc (5) , est en cours. "On fait parler une étude qui n'a pas encore été rendue", s'indigne Michel Métais, directeur de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et membre du conseil d'administration de l'ONCFS, qui dénonce les pressions du monde de la chasse à l'approche des élections.
Le ministère de l'Ecologie met en avant "des changements majeurs au sein de l'aire de répartition de la population des oies cendrées" et le fait que les mouvements d'oies observés en France à compter de la dernière décade de janvier ne soient pas des débuts de migrations mais "des mouvements liés à l'erratisme hivernal". Il relève des conséquences en matière de dégâts agricoles de plus en plus importantes, qui conduisent les Pays-Bas à détruire plus de 120.000 oies cendrées, notamment par gazage, chaque année. "Les dégâts atteignaient 9 millions d'euros en 2011 dont 5,5 millions imputables aux seules oies cendrées", précisent les services du ministère de l'Ecologie.
Ces derniers estiment, au vu des premiers résultats de l'étude de l'ONCFS, que la population d'oies qui cause ces dégâts aux Pays-Bas est la même que celle qui transite par la France. "Les prélèvements qui seront effectués durant cette période en France pourront donc contribuer à la régulation globale de l'espèce et à la prévention des dégâts", en concluent-ils.
Deux populations d'oies selon la LPO
"L'argumentaire ne tient pas", rétorque Michel Métais pour la LPO, qui explique qu'il y a deux populations d'oies. L'une migratrice, qui transite par la France et dont 95% des effectifs rejoignent la Scandinavie, et l'autre sédentaire qui vit et se reproduit aux Pays-Bas. D'autre part, l'arrêté concerne trois espèces d'oies alors que seule l'oie cendrée est mise en cause dans les dégâts agricoles constatés en Hollande, ajoute-t-il.
"Allonger la période de chasse en France n'aura donc aucune influence sur les dommages agricoles aux Pays-Bas", estime le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas-de-Calais, pour lequel cette demande de prolongation de la période de chasse est "symptomatique de la gestion catastrophique de la faune sauvage en France".
"Le texte est illégal et nous allons l'attaquer en référé", annonce du même coup le directeur de la LPO. Même son de cloche du côté de l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) qui annonce tout d'abord mobiliser ses adhérents autour de la consultation publique puis, si l'arrêté sort malgré tout, engager un référé pour demander sa suspension. "Nous avons de bonnes chances de le faire annuler", juge Marion Fargier, responsable du service juridique de l'Aspas.
De son côté, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) salue dans un communiqué "cette décision courageuse qui s'appuie sur des données scientifiques nouvelles et qui prend enfin en compte le guide interprétatif de la directive « oiseaux » publié par la Commission européenne". Afin de rendre pérenne cette chasse en février, elle demande que les ministres français, hollandais et belges engagent des négociations immédiates pour "mettre en œuvre un plan de gestion de l'oie à grande échelle, en accord avec la Commission européenne".
Et la FNC de rappeler, "à toutes fins utiles", que dans le cadre de la table ronde "chasse" de 2010, les ONG environnementales (FNE, LPO, Fondation Hulot) avaient signé un accord avec les chasseurs pour prolonger la chasse des oies jusqu'au 10 février, "confirmant l'impact dérisoire de cette chasse à cette période".