Le Conseil constitutionnel a contredit cette thèse. Dans sa décision, datée du 29 décembre 2009, les Sages estimaient que l'exonération totale de contribution carbone des émissions des centrales thermiques produisant de l'électricité, des mille dix-huit sites industriels les plus polluants, tels que les raffineries, cimenteries, cokeries et verreries, et des secteurs de l'industrie chimique utilisant de manière intensive de l'énergie, était infondée : ''si certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union européenne, il est constant que ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n'entrera en vigueur qu'en 2013 et ce, progressivement jusqu'en 2027''. En conséquence, 93 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine industrielle, hors carburant, seraient totalement exonérées de contribution carbone jusqu'en 2013. Et les activités assujetties à la contribution carbone représenteraient au bout du compte moins de la moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre. L'avis est tombé comme un couperet : ''par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques''.
Le Conseil des ministres du 20 janvier a pris acte de l'avis du Conseil constitutionnel : ''une contribution carbone sera appliquée jusqu'au 1er janvier 2013 aux entreprises des secteurs soumis au système des quotas d'émission. Des dispositifs spécifiques pour certains secteurs sensibles seront mis en place pour préserver la compétitivité des entreprises''. Les industriels réagissent vivement, face aux sénateurs de la commission des finances, parmi lesquels Fabienne Keller (UMP Bas-Rhin), présidente du groupe de travail sur la fiscalité environnementale qui, dans un rapport sur la taxe carbone, estimait que ''dans la perspective d'une allocation payante des quotas d'émission à l'horizon 2013, contribution climat-énergie et marchés de permis n'ont pas vocation à se superposer''1.
La complainte des industriels
''Nous sommes déjà soumis au régime des quotas, donc nous respectons l'objectif de lutte contre le changement climatique'', estime Bruno Bensasson, directeur de l'économie et des prix à la direction de la stratégie de GDF-Suez. ''Les investissements relèvent de processus longs, plaide Philippe Huet, directeur-général adjoint d'EDF, l'efficacité du système de quotas se révèle dans le temps, inutile, donc d'anticiper la phase III'' de l'ETS, qui, à partir de 2013, rendra payant l'accès aux quotas grâce au système des enchères. Unanimement, ils considèrent que, même si les quotas ne sont pas mis aux enchères avant 2013, le fait de s'y préparer est en soi une contrainte qui les incite à modérer leurs émissions. Ils réclament de la visibilité à moyen et long terme, mais ''on ne serait pas plus heureux avec une taxe carbone qu'avec l'ETS'', réagit M. Bensasson.
Une position pour le moins paradoxale, car une taxe aurait le mérite de monter en puissance progressivement et d'être plus prévisible que les marchés carbone. Ceux-ci sont soumis aux fluctuations de l'offre et de la demande, amplifiées par les marchés secondaires des plate-forme BlueNext et ICE-ECX, spécialiste des produits dérivés des quotas. Comme le notait Fabienne Keller dans son rapport sur la taxe carbone, ''le fonctionnement même des marchés ne peut évidemment pas garantir une stabilité complète du prix des quotas. En revanche, des fluctuations excessives sont à éviter afin d'envoyer un « signal-prix » clair et prévisible aux opérateurs''. Or la plupart des grandes compagnies de l'énergie soumises au régime des quotas spéculent elles aussi sur les marchés à terme.
La mise aux enchères des quotas fait partie de l'encadrement nécessaire des marchés carbone, souligne Mme Keller, afin d'empêcher manipulation et spéculation. Reste que les industriels, soucieux de leur compétitivité à l'international, redoutent de devoir payer les quotas par anticipation : ''le transfert de cash ira de l'industrie vers l'Etat, mais nous n'aurons pas eu le temps de réduire nos émissions'', prévient Olivier Luneau, directeur « développement durable et affaires publiques » de Lafarge. Directeur-général d'Arcelor-Mittal France, Hervé Bourrier met en garde : ''le changement climatique préoccupe la sidérurgie. Nous avons déjà réduit de 20% notre empreinte carbone en Europe depuis 1990. Quelle que soit la contrainte coût que vous mettrez, il n'y aura qu'une partie sur laquelle nous pourrons faire des efforts''. Philippe Marini (UMP Oise), rapporteur général de la commission des finances, s'interroge sur le stock important de quotas détenu par Arcelor-Mittal. Avec la crise économique et la baisse de la demande mondiale, ce géant de la sidérurgie a reçu en 2008 quelque 32% de quotas de trop, soit une manne estimée par la presse britannique à un milliard d'euros. Avant d'être une peine, les quotas sont, pour certains, devenus une manne.