Le développement des biocarburants en Europe n'est pas à la hauteur des soutiens qui lui sont alloués. Telle est la conclusion principale d'un rapport (1) , publié ce mercredi 13 décembre, de la Cour des comptes de l'Union européenne (CCE). Celle-ci s'inquiète, en outre, d'un recours à l'importation menaçant la promesse de souveraineté que les biocarburants sont censés représenter et d'une utilisation croissante des terres agricoles.
Déséquilibre entre objectif et réalité
Entre 2014 et 2020, 430 millions d'euros (dont 370 millions consacrés à des projets de recherche dans le cadre du programme Horizon 2020) ont été versés par la Commission européenne pour développer les biocarburants de deuxième génération, ou avancés, produits à partir de déchets, de résidus ou de coproduits alimentaires (en opposition aux biocarburants de première génération, ou agrocarburants, issues de cultures alimentaires). Et entre 2020 et mars 2023, au moins 43 millions d'euros à travers le programme Horizon Europe (ex-Horizon 2020) et 185 millions par le biais du Fonds européen pour l'innovation ont également été dépensés en ce sens.
Entre utilisation des terres et recours à l'importation
Ce qui pèche cruellement selon la CCE, c'est le manque d'une vision à long terme, d'une « feuille de route » dictant la stratégie de production et de soutien de ces biocarburants avancés. « La Commission européenne prévoyait que ces carburants renforceraient l'indépendance énergétique, mais, en réalité, la dépendance à l'égard des pays tiers (par exemple, pour les importations d'huiles de cuisson usagées depuis la Chine, le Royaume-Uni, la Malaisie et l'Indonésie) a augmenté en raison de la demande croissante de biomasse, déplorent les auditeurs luxembourgeois. Il s'avère que le secteur des biocarburants est en concurrence pour les matières premières avec d'autres secteurs, en particulier celui des aliments, mais aussi des cosmétiques, des produits pharmaceutiques et des bioplastiques. »
La CCE rapporte que l'Hexagone a, par exemple, utilisé essentiellement des huiles de cuisson usagées collectées sur le territoire national (56 %) pour en faire des biocarburants avancés en 2014. Un chiffre qui est ensuite tombé, en 2022, à 14 %, la France préférant importer ces produits - malgré une augmentation du volume d'huiles usagées collectées en France (173 000 tonnes, pour 100 000 tonnes en 2014). « Même si toutes les huiles de cuisson domestiques usagées étaient collectées en France et utilisées pour produire des biocarburants, elles ne suffiraient pas à répondre à la demande. » Autre exemple : la capacité potentielle de production de carburants durables pour l'aviation (misant principalement sur les biocarburants) par les Vingt-Sept « atteint actuellement moins de 10 % » des 2,76 millions de tonnes équivalent pétrole nécessaires au respect de l'objectif du règlement ReFuel Aviation en 2030 (couvrir 6 % des carburants utilisés par le secteur aérien). Sans parler du prix de ces biocarburants, « jusqu'à six fois plus chers que le kérosène conventionnel fossile ».
À l'inverse, s'agissant cette fois des agrocarburants, la France a intensifié l'usage de terres agricoles en la matière. Entre 2014 et 2020, 200 000 hectares supplémentaires (+ 26 %) de cultures alimentaires ont été consacrés à leur production. Et la CCE de confirmer : « Les biocarburants produits à partir de matières premières issues de l'agriculture (susceptibles, de ce fait, de contribuer à la déforestation) peuvent être préjudiciables à la biodiversité, aux sols et à l'eau (et) soulèvent inévitablement des questions éthiques sur les priorités relatives accordées à l'alimentation et aux carburants. »