C'est par 146 voix pour et 104 contre, et après avoir repoussé une motion de rejet préalable, que l'Assemblée nationale a définitivement adopté (1) , mardi 9 avril, le projet de loi qui réforme la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Et ce, en même temps que le projet de loi organique (2) encadrant les modalités de désignation du président de la nouvelle autorité créée. Le Sénat s'est prononcé le même jour en faveur des deux textes élaborés en commissions mixtes paritaires, le 4 avril dernier.
« Une étape majeure est franchie dans la relance du nucléaire », s'est félicité Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie. L'exécutif a en effet réussi à mener à bien, malgré de nombreuses contestations, y compris dans les rangs des pronucléaires, le principal objectif de ce projet de loi : la fusion de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en une autorité unique : l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Le texte poursuit toutefois un deuxième objectif : « adapter » les règles de la commande publique aux projets nucléaires par des dérogations à l'obligation d'allotissement, de durée maximale ou de mise en concurrence.
La majorité présidentielle a toutefois dû s'y prendre à plusieurs reprises pour faire aboutir cette fusion décidée par Emmanuel Macron lors du Conseil de politique nucléaire du 3 février 2023 et annoncée par un communiqué de presse laconique publié cinq jours plus tard. Par deux fois, le projet a été repoussé : par l'Assemblée en séance, le 15 mars 2023, en rejetant l'amendement du Gouvernement organisant cette fusion dans le cadre du projet de loi sur l'accélération du nucléaire ; puis le 5 mars 2024 par la commission du développement durable dans le cadre de la discussion de ce nouveau projet de loi.
« Se focaliser sur les enjeux prioritaires de sûreté »
Lors de la commission mixte paritaire, des ajouts ont été faits concernant le règlement intérieur de la future Autorité. « Ils visent d'abord, a expliqué Roland Lescure, à renforcer la place de ce règlement dans l'articulation entre expertise et décision, et à assurer cette distinction, tout en évitant une rigidification excessive de la structure. Ils visent ensuite à établir des lignes directrices concernant les exceptions au principe de publication concomitante des résultats d'expertise et des décisions auxquelles ils se rapportent. Les résultats de l'expertise seront ainsi publiés avant la décision s'agissant des instructions longues, telles que le projet Cigéo ou les visites décennales, et après la décision en ce qui concerne les instructions courtes, comme c'est le cas actuellement. Enfin, ces ajouts prévoient la présentation du règlement intérieur à l'Opecst. »
Remise en cause d'un système de gouvernance dual
Cet argumentaire n'a pas convaincu les groupes parlementaires de gauche (socialistes, GDR, écologiste, LFI), pas plus que le groupe Liot, qui ont voté contre les projets de lois, mais sans parvenir à entraver leur adoption. « Ce texte remet en cause un système de gouvernance dual qui a pourtant fait ses preuves depuis des années. Distinguant clairement l'expert qu'est l'IRSN de l'autorité qu'est l'ASN pour les installations civiles, il est reconnu et plébiscité dans le monde entier », a vainement plaidé Gérard Leseul, pour le groupe socialiste. Si ce texte était finalement adopté, a ajouté le député de Seine-Maritime, il est presque certain qu'il ne permettrait pas d'atteindre l'objectif affiché de raccourcir les délais de procédures réglementaires sans réduire la performance de sécurité. Et l'élu d'avancer trois raisons : l'allongement des délais est dû, non aux dérives de l'expertise scientifique de l'IRSN, mais à « la bureaucratisation croissante du contrôle de la sûreté » ; le regroupement des ressources nationales liées à la sûreté nucléaire au sein d'une entité unique spécialisée dans le contrôle « conduira inéluctablement à l'attrition de l'effort de recherche » ; « des menaces pèsent sur la bonne information du public » car le partage des connaissances exige une prise de distance avec les actions du contrôle régalien.
« Si ce projet de loi doit être rejeté, ce n'est pas parce qu'il est présenté par ce gouvernement, mais parce qu'il est dangereux (…). [Il] engage la sûreté nucléaire de la France, c'est-à-dire la prévention et la gestion d'un risque majeur. Si un accident se produisait, il aurait selon son degré de gravité des conséquences sur la vie et la santé humaines et sur l'environnement pendant plusieurs générations », a, de son côté, alerté l'ancienne ministre de l'Environnement, Delphine Batho, insistant sur l'importance du facteur humain dans la sûreté nucléaire. « Si le facteur humain est ignoré en dépit de toute rationalité, c'est parce que l'objectif réel du projet de loi consiste à en finir avec la séparation stricte entre l'expertise et la décision de sûreté nucléaire. Vous espérez ainsi en finir avec la transparence, considérée comme gênante et enquiquinante. Les raisons inavouables de cette fusion figurent d'ailleurs dans un rapport classé secret-défense », a assuré la députée écologiste des Deux-Sèvres.
« Cette mauvaise réforme est typique d'un pouvoir faible, qui manque d'une qualité essentielle qu'on appelle le sens de l'État », a asséné l'ancienne ministre, rappelant que la fin de l'approche intégrée des enjeux de sûreté et de sécurité avait été qualifiée de « faute majeure » par André-Claude Lacoste, ancien président de l'ASN.