Composés de mélanges de caoutchouc, d'acier et de textile, les pneus usagés ne sont pas des déchets dangereux en tant que tel, cependant, ils représentent un danger pour l'environnement et la santé si leur prise en charge n'est pas correcte. En décembre 2002, un nouveau cadre réglementaire a été instauré en France, basé sur la responsabilité des producteurs de pneus neufs dans le traitement de ces déchets. La filière a donc été conduite à s'organiser et à se structurer. Ainsi, les quelques 70.000 distributeurs/détenteurs de pneus recensés en France sont désormais obligés de remettre leurs pneumatiques usagés à des collecteurs agréés, l'agrément étant soumis au respect de prescriptions techniques et à l'obtention d'un contrat auprès d'une entreprise responsable de la mise sur le marché des pneus.
Les plus importants producteurs ont choisi de s'organiser eux-mêmes en confiant la collecte et la valorisation de leurs produits à un organisme tiers. Les sept principaux manufacturiers (Brigestone/Firestone, Continental, Dunlop, Goodyear, Michelin, Kléber, Pirelli) ont ainsi créé la société ALIAPUR en lui confiant la mission d'organiser et d'animer la filière, de la collecte jusqu'à la valorisation. Opérationnelle depuis septembre 2003, ALIAPUR a collecté et traité 294.000 tonnes de pneus en 2005 auprès des professionnels de l'entretien et de la réparation automobile, des carcassiers, rechapeurs et des sociétés de collecte de déchets. En 2006, ce sont 300.000 tonnes de pneus qui ont été ramassées.
Mais au-delà de la collecte, le vrai challenge reste le recyclage de ces pneus une fois rassemblés.
C'est dans ce contexte que, le 16 octobre dernier à Paris, une journée technique Nouveaux produits, nouvelles applications issus des pneumatiques usagés a été organisé par l'ADEME et ALIAPUR.
À travers cette Journée, qui s'adressait à tous les utilisateurs potentiels de produits et techniques utilisant des pneumatiques usagés, il était question de faire un point d'étape sur diverses pistes de recherche et de mettre en valeur des exemples de valorisation réussis et porteurs d'avenir. Si les voies de valorisation sont multiples et variées, les pneus usagés intègrent essentiellement trois filières de recyclage : la granulation, le combustible de substitution et les travaux publics. S'y ajoutent d'autres solutions, moins connues notamment dans le domaine des pièces automobiles ou des fonderies. Mais Eric Fabiew, le Directeur général d'ALIAPUR est convaincu que de nouvelles solutions de recyclage vont encore être découvertes et que de nombreux projets restent à mener.
Depuis quelques années une nouvelle technologie de valorisation a fait ses preuves en aciérie à four électrique. Les fours à arc électrique utilisent des produits carbonés comme l'anthracite pour réduire la rouille de la ferraille usagée. Or, un pneu est composé de carbone et de fer. Dans une aciérie à arc électrique, les pneus usagés peuvent donc être utilisés comme substitut de l'anthracite, et l'acier présent dans le pneu est directement réemployé et mélangé au reste de la ferraille. Ce procédé fonctionne maintenant avec succès, avec un taux de substitution de 1,7 kg de pneus pour 1 kg d'anthracite.
À l'image de ce qui se passe dans les aciéries, les pneumatiques usagés intéressent les fonderies, notamment, pour leur carbone. En effet, l'acier, le carbure de silicium et le coke sont des matières premières très coûteuses qu'il devient de plus en plus intéressant de substituer. À cet effet, et pour vérifier la faisabilité technique de l'utilisation de PUNR dans les fonderies, des essais d'introduction de PUNR ont été réalisés en 2004 et 2005 dans deux fonderies utilisant un cubilot à vent chaud pour une convention de recherche Centre Technique et Industriel de la Fonderie (CTIF)-ADEME. Les résultats ont montré qu'il est possible de charger des pneus et de produire de la fonte possédant les critères requis, indique Gilles Thion, expert Cubilot, au CTIF. Cependant, l'enfournement de pneus a été limité par des contraintes de temps d'expérimentation et de procédé. Par conséquent, une autre campagne de recherche a été menée par CTIF, financée par la fonderie FMGC et ALIAPUR avec le soutien de l'ADEME. Elle a validé la possibilité d'enfourner des broyats de pneus PL de manière continue. Pour FMGC, le système de traitement des fumées a atteint la saturation lors du chargement d'environ 1,1% de pneus dans la charge métallique.
De nouvelles opportunités existent aussi pour les pièces automobiles. Un projet du laboratoire de Recherches et de Contrôle du Caoutchouc et des Plastiques (LRCCP) a évalué la faisabilité d'association de granulatsde taille conséquente (>1mm) , issus de PUNR, avec des matrices thermoplastiques de grande fluidité pour fabriquer des pièces automobiles de carrosserie ou sous capot moteur. L'objectif : apporter à ces pièces des propriétés qu'elles ne possèdent pas naturellement comme la souplesse ou l'atténuation acoustique. Le projet a montré que ces associations sont tout à fait réalisables avec amélioration des propriétés mécaniques par des agents de compatibilisation appropriés, rapporte Philippe DABO, le Directeur Général Adjoint du Laboratoire. Un comportement rhéologique particulier a cependant été constaté et une gestion des odeurs sera nécessaire, précise-t-il.
Des recherches sont également menées pour valoriser le granulat de pneumatiques dans la conception de nouveaux sols équestres. Les résultats de cette recherche ont conduit à la définition de prototypes et à la réalisation d'un chantier expérimental actuellement mis en œuvre dans un centre d'enseignement de l'équitation à Vallet (44). Le produit aujourd'hui opérationnel (et protégé par brevet) est toujours en cours de validation technique notamment sur la durée, indique Sophie Moreau du CSTB.
Une étude a aussi été engagée en partenariat avec ALIAPUR, l'EEDEMS de Lyon, l'ADEME et SITA France pour préciser la possibilité d'utiliser les PUNR comme matériaux de drainage sur les installations de stockage de déchets : drainage des lixiviats en fond de site, drainage du biogaz dans le massif de déchets, matériaux drainant des tranchées de recirculation de lixiviats, drainage de l'eau de surface sur la couverture. Les résultats positifs ont conduit à la poursuite de ce travail, signale Arnaud Budka responsable Expertise Métiers à la Direction Développement Durable de SITA France.
Le Centre de Transfert de Technologie du Mans (CTTM) a encore proposé de développer de nouveaux matériaux à base de granulats de PUNR pour applications acoustiques, en particulier afin de réaliser des murs anti bruit. Nous avons travaillé sur le procédé de réagglomération en lien avec les propriétés du matériau. Pour ce faire nous sommes appuyés sur un modèle théorique acoustique concernant les matériaux poreux et sur un outil de simulation numérique, explique Michel Dorget, Responsable du Département Matériaux au CTTM. Une autre étape a consisté en une optimisation de la géométrie des éléments absorbants. Différentes géométries ont été évaluées de sorte à accroître encore la performance acoustique. La mise en place d'une ligne de production spécifique à ce type de technologie est à l'étude avec la société CAPREMIB.
Un autre projet, cofinancé par l'ADEME et ALIAPUR a vocation à développer une application industrielle des fibres de textiles issues de la granulation de pneumatiques usagés à destination de l'industrie des travaux publics. L'application consiste à développer, pour le marché des bétons bitumineux, des fibres prétraitées industriellement destinées à la fabrication des enrobés bitumineux. Le premier chantier a été réalisé dans le Rhône. La simplicité d'exécution et les caractéristiques obtenues permettent d'envisager le développement industriel de cette technique, estime Pascal Oger, directeur technique, RINCENT BTP Services. Nous prévoyons le démarrage de la fabrication fin 2008 ce qui permettra d'absorber l'ensemble de la production des fibres issues des PUNR à partir des années 2010-11, ajoute-t-il.
Enfin, un projet a consisté à l'élaboration d'une solution technique, basée sur l'utilisation de matériaux recyclés, destinée à la réduction des vibrations induites par les plates-formes de tramway.
Ainsi, depuis la mise en place du décret sur les pneumatiques, la filière s'est profondément organisée. Cependant, elle est arrivée aujourd'hui à un stade où pour continuer à se développer, elle doit harmoniser et codifier ses activités ainsi que la terminologie associée. Les interfaces entre acteurs (collecteurs), préparateurs (sites de broyages, granulateurs), utilisateurs finaux (cimenteries, entreprises de TP ou de fabrication de sols sportifs, ...) sont de plus en plus nombreuses et par conséquent un langage unique doit être mis en place, estime Catherine Moutet de l'AFNOR qui intervenait lors de cette journée technique. L'établissement de normes de spécifications techniques et de méthode d'essais est la réponse à ce nouveau challenge, ajoute-t-elle. Une commission de normalisation spécifique aux pneumatiques usagés non réutilisables a été créée en ce sens et cinq groupes de travail ont été mis en place (broyats et granulats/poudrettes), (sols sportifs et Travaux publics/génie civil). Depuis la mise en place de la commission, plusieurs normes expérimentales ont été publiées et sont désormais utilisées par les acteurs de la filière.