Présidée par l'économiste de l'environnement Stefan Ambec, la commission d'expert, mandatée en juillet 2019 par le Premier ministre, a remis ce 18 septembre son rapport à Jean Castex. Ces travaux évaluent les impacts sanitaires et environnementaux de l'accord de libre-échange conclu entre les pays du Mercosur (le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay) et l'Union européenne. Signé le 28 juin 2019, cet accord commercial doit encore être ratifié par chaque État membre de l'UE et le Parlement européen avant sa mise en œuvre. Le Président Emmanuel Macron avait déjà fait part de son opposition au projet d'accord « en l'état », estimant qu'il ne respecte pas l'Accord de Paris sur le climat.« C'est pour cela que sur le Mercosur, j'ai stoppé net les négociations et les derniers rapports qui ont pu nous être soumis me confortent dans cette décision », avait-il réaffirmé, le 29 juin 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat.
Risque de déforestation accrue en Amazonie
« La déforestation met en péril la biodiversité et dérègle le climat. Le rapport remis par Stefan Ambec conforte la position de la France de s'opposer au projet d'accord UE-Mercosur, en l'état. Il en va de la cohérence des engagements environnementaux de notre pays et de l'Europe », confirme Jean Castex, sur Twitter.
La commission Ambec prédit une hausse des exportations de viande bovine vers l'Europe (de l'ordre de 2 à 4 %) avec pour conséquence un risque d'augmentation « de 5 % par an sur six ans de la déforestation liée au développement des fermes d'élevage et des pâturages ». Ce chiffre de 5 % « ne prend en compte que la surface de déforestation nécessaire pour élever le morceau d'aloyau (exporté en Europe) et non la bête entière », critique toutefois la Fondation Nicolas Hulot. « En prenant en compte la surface totale utilisée pour produire les têtes de bétail nécessaires pour la production des 53 000 tonnes de viande bovine supplémentaires exportées vers l'UE, l'accélération de la déforestation s'élève plutôt à 25 % par an pendant 6 ans », selon les calculs de l'ONG.
Le rapport Ambec estime que l'accord commercial pourrait aussi faire disparaître 700 000 ha de forêts vierges situées au Cerrado en Amazonie.
« Aucune mesure effective » des engagements climatiques
L'accord pourrait aussi engendrer des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires, comprises entre 4,7 et 6,8 millions de tonnes équivalent de CO2 par an. En prenant en compte la déforestation engendrée par l'accord (mais sans inclure l'impact du transport maritime), les émissions de CO2 s'accroîtraient globalement de 7,8 à 11,5 millions de tonnes équivalent de CO2 par an. La commission Ambec ajoute que les gains économiques attendus ne permettent pas de compenser les coûts climatiques. Même avec un prix de 250 euros la tonne de carbone. La déforestation rend le coût environnemental de l'accord trop élevé par rapport à ses bénéfices économiques.
Aussi, le projet de traité UE-Mercosur ne comprend « aucune mesure effective pour la mise en œuvre des engagements climatiques » de l'Accord de Paris, épingle la commission. Seul un mécanisme de dialogue spécifique est prévu.
« Clarifier » le principe de précaution dans l'accord
Concernant les normes environnementales et sanitaires, la reconnaissance du principe de précaution dans l'accord est également « incomplète », ajoute la commission. Par exemple, « aucune condition » n'est prévue en ce qui concerne : l'alimentation des animaux (utilisation de farines et de protéines animales, de cultures OGM, présence de résidus de pesticides, etc.) ; l'utilisation des médicaments vétérinaires (notamment des antibiotiques) en élevage ; le bien-être des animaux (élevage et transport) ; l'utilisation des produits phytosanitaires et l'usage d'additifs dans les produits frais (lait, fruits et légumes).
La commission recommande d'adapter le programme d'audit sanitaire dans les pays du Mercosur (en particulier sur la traçabilité, l'usage des pesticides et le transport des animaux) dont les produits sont destinés à être exportés vers l'UE. Le principe de précaution doit être « clarifié », ajoute la commission, « en y incluant, non seulement la protection de l'environnement et la sécurité au travail, mais aussi la sécurité sanitaire des aliments et la santé publique de façon plus générale ».
La commission conclut que l'accord actuel « représente une occasion manquée » pour l'UE « d'obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales (et) sanitaires ».
Ce rapport « est loin d'être exhaustif », regrette toutefois la Fondation Nicolas Hulot (FNH). « La question de l'impact sur la biodiversité de la hausse prévue des exportations européennes de pesticides (y compris des pesticides interdits dans l'UE) dans les pays du Mercosur n'est par exemple pas examinée. Certains produits tels que le soja ou les produits issus du secteur extractif ne sont pas abordés. Le rapport n'évoque pas non plus les impacts de cet accord sur les droits humains », déplore l'association.
Renégociation ou abandon de l'accord ?
Une trentaine d'ONG environnementales (dont FNH, Greenpeace, Attac, les Amis de la Terre) réitèrent par conséquent l'abandon de l'accord UE-Mercosur. Pour Maxime Combes, porte-parole d'Attac France, « se dire opposé au projet actuel, depuis Paris, ne suffit pas à fermer définitivement la porte au projet d'accord entre l'UE et le Mercosur et il est regrettable de constater que le gouvernement ne s'engage pas à tout mettre en œuvre pour bloquer cet accord à Bruxelles : est-il prêt à l'accepter avec quelques modifications cosmétiques comme pour le CETA ? ». « Est-ce que la France pousse bien une renégociation totale de l'accord ? », se questionne également Matthieu Orphelin, député du Maine et Loire et co-président du groupe EDS (Ecologie Démocratie Solidarité).
Le Gouvernement fixe « trois exigences » pour poursuivre le processus de finalisation et de ratification de cet accord : le respect de l'Accord de Paris sur le climat et l'alignement des importations sur les normes sanitaires et environnementales fixées par l'UE. « Sans améliorations sur la lutte contre la déforestation, la reconnaissance du travail de nos agriculteurs et le respect de nos normes, la France s'oppose et continuera à s'opposer au projet d'accord », a déclaré le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie.