Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 et un tsunami dévastaient la centrale de Fukushima Daiichi. Dans les jours qui suivaient, quatre des six réacteurs opérés par Tepco subissaient des dégâts supplémentaires causés par des explosions d'hydrogène. L'accident a depuis rejoint celui de Tchernobyl au septième et dernier échelon de l'Echelle internationale des évènements nucléaires (Ines), faisant des deux accidents les pires catastrophes enregistrées sur des installations nucléaires.
Fusion de trois cœurs
La perte de refroidissement et d'alimentation électrique de la centrale a rendu impossible le maintien de l'intégrité des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3.
Aujourd'hui, Tepco estime que le réacteur numéro 1 est le plus endommagé : la fusion totale du cœur aurait entrainé un percement de la cuve et une fuite du corium vers le fond de l'enceinte de confinement. Quant aux réacteurs 2 et 3, l'opérateur de la centrale évoque une fusion des cœurs avec un percement des cuves, mais seule une faible partie du corium se serait écoulée au fond des enceintes.
Le réacteur 4 ne contenait pas de combustible et les tranches 5 et 6, situées en retrait par rapport au quatre premières, ont été moins impactées par le désastre.
Par ailleurs, les piscines de stockage du combustible irradié ont elles aussi été endommagées. Le combustible qu'elles contiennent a été contrôlé par vidéo et grâce à des analyses d'eau. "L'analyse ne semble pas montrer que le combustible est détérioré", avance Thierry Charles, directeur général adjoint chargé de la sûreté des installations et des systèmes nucléaires à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Une formule prudente que le spécialiste justifie : "tous les mots sont importants".
Maintenir l'équilibre et limiter les rejets
Depuis la fin de l'année 2011, Tepco considère que les trois réacteurs sont en situation d'"arrêt à froid", c'est à dire que l'eau contenue dans les cuves est maintenue en deçà de 100°C.
Cependant, évoquer un arrêt à froid est "inapproprié", prévient Thierry Charles, expliquant que la situation a atteint "une certaine robustesse" mais reste délicate. Et l'expert en sûreté nucléaire de rappeler que les réacteurs font l'objet d'incidents fréquents : détection en novembre d'un gaz radioactif dans le cœur du deuxième réacteur qui proviendrait d'une possible reprise d'une fission incontrôlée d'une partie du cœur, relevés de températures incohérents en février et fuites récurrentes sur le système de refroidissement.
Le site se prépare ainsi à passer de longues années dans une situation marquée par des rejets diffus et "persistants", explique Thierry Champion, directeur de la crise de l'IRSN. Une série de dispositions a donc été prise afin d'en limiter la dispersion. De la résine a été pulvérisée pour fixer au sol les particules radioactives, le réacteur 1 a été recouvert d'une structure métallique et de bâches limitant la dispersion des rejets, certaines parties basses ont été étanchéifiées et une paroi enterrée entre le sol et la mer est en cours de construction. Enfin, des protections anti-tsunami ont été dressées en bordure du site et les soubassements de la piscine du réacteur 4 ont été renforcés pour limiter les risques d'effondrement.
Gérer l'eau contaminée
Cependant, cette stratégie pose de nombreux défis pratiques, comme l'illustre l'épineux problème de la gestion de l'eau contaminée. Actuellement, de l'eau est injectée dans les cuves pour refroidir les coriums. Cette eau, contaminée au contact des cœurs fondus, se déverse par les fissures des cuves dans les parties basses des installations où elle est collectée pour être décontaminée et réinjectée dans les cuves.
Le bilan hebdomadaire établi par Tepco rapporte qu'à fin février 2012, le volume de l'eau hautement radioactive stagnant dans les parties basses des réacteurs 1 à 4 est estimé à 77.200 m3, auquel s'ajoutent 15.500 m3 stockés en amont de l'usine de traitement. A l'aval des deux unités de traitement, 581 m3 de boues d'épuration concentrant les polluants radioactifs se sont accumulés au fil du traitement de quelque 250.000 m3 d'eau en 36 semaines. Par ailleurs, l'eau traitée est stockée (environ 2.200 m3 en attente) avant d'être désalinisée. Cette dernière opération implique elle aussi le stockage de volumes d'eau importants : 107.000 m3 d'eau saumâtre accumulés à l'issue d'un premier traitement par osmose inverse, 7.500 m3 d'eau dessalée à l'issue d'un second traitement et 5.500 m3 de déchets liquides concentrés.
A l'issue du traitement Tepco obtient une "eau fraiche" contenant encore une activité radioactive de l'ordre de 610 becquerels par litre (Bq/l) quand l'eau de mer ne contient que 12 Bq/l de potassium 40, selon les chiffres avancés par l'IRSN.
Vers une longue décontamination du site
Plutôt que de construire un sarcophage comme à Tchernobyl, l'opérateur a préféré retenir l'option d'"un retour à un site « nettoyé »", rappelle Thierry Charles, insistant sur les guillemets. Cela devrait prendre une quarantaine d'années si le calendrier est respecté, ce dont semble douter l'IRSN qui prévient que "les délais annoncés ne peuvent être considérés que comme des ordres de grandeur".
La première étape, qui devrait débuter d'ici deux ans, consiste à retirer les combustibles usés présents dans les piscines. Elle pourrait être compliquée par la présence de débris dans les piscines. La deuxième étape, qui devrait intervenir d'ici dix ans, prévoit d'extraire les combustibles fondus des réacteurs. Une étape dont la faisabilité est difficile à évaluer faute de données précises sur l'état des coriums et leur répartition entre les cuves et les enceintes de confinement. Enfin, le démantèlement des installations pourra être envisagé.
Tout au long du processus, l'une des principales préoccupations sera d'assurer le monitoring et le suivi du site. "Il faut une vigilance permanente", rappelle l'expert de l'IRSN qui évoque la fiabilité incertaine des moyens de surveillance. Ainsi, les problèmes de remontée de température dans la cuve du réacteur 2 au début du mois de février étaient dus à une panne d'un thermomètre situé dans la cuve. Pourra-t-on remplacer de tels équipements si les défaillances s'accumulent ? "Très bonne question" relève Thierry Charles, ajoutant que la radioactivité dans l'enceinte est telle que les robots ne peuvent y pénétrer.