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Actu-Environnement

« S'attaquer à l'urgence climatique peut redonner du sens à la société »

Comment embarquer la société française contre le réchauffement climatique ? Dans un livre à paraître ce 17 mai, le chercheur et consultant Aurélien Boutaud préconise la déclaration d'un état d'urgence climatique et en dessine un plan de bataille.

Interview  |  Gouvernance  |    |  F. Gouty
   
« S'attaquer à l'urgence climatique peut redonner du sens à la société »
Aurélien Boutaud
Auteur du livre « Déclarer l’état d’urgence climatique » (2024, éd. Rue de l’échiquier)
   

Actu-Environnement : D'où vous est venu le concept d'état d'urgence climatique ?

Aurélien Boutaud : La notion d'urgence climatique est apparue à la suite de la publication, en octobre 2018, du rapport spécial dit « 1.5 » du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec). Il formulait un double constat. Le Giec soulignait d'abord que les impacts potentiels d'un réchauffement de + 1,5 °C à + 2 °C d'ici à 2100 pourraient être très différents, ce pourquoi il préconisait de limiter l'augmentation de la température moyenne sur Terre à + 1,5 °C. Le second constat était que, pour y parvenir, nous ne pouvions nous contenter de viser la neutralité carbone en 2050. En l'absence de technologies de géo-ingénierie comme le captage de dioxyde de carbone (CCS), il nous fallait diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre dans la décennie 2020. En somme, ce rapport confirmait la gravité du danger à venir, tout en nous prévenant qu'il ne nous restait que très peu de temps pour l'éviter. Agir vite pour éviter le pire, c'est ce qu'on appelle une urgence.

C'est à la lecture de ce rapport qu'est né le mouvement des « Fridays for Future », prenant la forme des « Marches pour le climat » dans le monde entier. Une mobilisation citoyenne mondiale avait alors l'urgence climatique pour principal mot d'ordre. Et sous sa pression, de nombreuses collectivités locales ont souhaité déclarer symboliquement un « état d'urgence climatique ». C'est dans ce contexte qu'en 2019, j'ai été approché par le canton de Genève pour interroger ce à quoi la mise en œuvre d'un tel état d'urgence pourrait ressembler. Mon ouvrage s'inspire de ce premier travail, tout en le transposant au cas de la France.

AE : Dans votre livre, vous déplorez aujourd'hui le triomphe de la politique de l'adaptation et de la transition, que vous qualifiez de gradualiste. Comment l'expliquez-vous ?

A.B. : C'est difficile à dire. Depuis les trente dernières années (1) , l'écologie politique a connu plusieurs pics d'intérêt suivis de brusques mouvements inverses. En 2007, par exemple, le pacte écologique porté par la Fondation Nicolas-Hulot (FNH) a conduit au Grenelle de l'environnement, avant que nos dirigeants considèrent que, face à la crise de 2008, « l'environnement, ça commençait à bien faire ». Mais même avant cela, depuis les années 1970 [et la publication du rapport Meadows sur les limites de la croissance, notamment, NDLR], ces pics d'intérêt ont toujours été contrés par des mouvements réactionnaires. Plus récemment, les conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine ont probablement participé à reléguer l'urgence climatique au second plan des agendas médiatique et politique, alors même que nous aurions pu espérer voir les Marches pour le climat aboutir à quelque chose de beaucoup plus fort et ambitieux.

L'une des difficultés majeures avec la question climatique, c'est son décalage temporel. Les dangers du réchauffement climatique correspondent bien à une urgence, car notre capacité à agir très rapidement influencera directement l'avenir du climat planétaire. Mais les effets de cette action ne se constatent pas du jour au lendemain. Au contraire, d'autres crises, comme la guerre ou la crise économique, ont des impacts immédiats et sont plus facilement considérées comme des urgences. Pourtant, aussi dramatiques soient-ils, ces événements mettent moins en péril le devenir de l'humanité que le réchauffement climatique.

AE : Mais de fait, dans le contexte politique et même l'imaginaire collectif, la crise économique que nous connaissons semble davantage avancer vers une urgence sociale, idéologique, voire identitaire pour certains. Comment redonner la priorité à l'urgence climatique dans ce contexte ?

A.B. : Ce qu'il nous faut comprendre, c'est que répondre à la crise climatique peut être l'occasion d'enclencher une reconstruction de la société qui résoudra d'autres problématiques sociales et sociétales. Les humains restent avant tout des êtres biologiques qui dépendent du bon état de santé de leur planète. Si nous continuons de détruire les conditions de vie sur Terre, alors tout le reste s'effondrera. La seule manière de s'en sortir, c'est de s'attaquer à cette métaproblématique de l'urgence écologique tout en donnant du sens à la société. L'urgence climatique doit être l'occasion de repenser un véritable projet de société, capable d'embarquer le plus grand nombre. Nous avons besoin d'une mobilisation comparable à celle que l'on peut constater dans les situations d'urgence ou de conflit, lorsque nos vies sont en jeu et que tout le monde se serre les coudes.

Cela veut dire que sans un grand mouvement populaire doté d'une assise suffisamment large dans les différentes franges de la société, nous ne dépasserons pas la situation de blocage actuel. Une situation où, d'un côté, les personnes conscientes du danger de l'inaction climatique finiront par se radicaliser et réclamer des changements par la force. Tandis que, de l'autre côté, la réponse réactionnaire consistera à défendre l'ordre établi en caricaturant les premières, en les stigmatisant ou en les qualifiant de terroristes – un peu à l'instar de ce qui est arrivé avec les activistes des Soulèvements de la Terre. À mon sens, gagner une assise populaire plus grande peut parvenir à pacifier un tel mouvement et à éviter une telle situation de blocage. Cela pourrait passer, par exemple, par une mobilisation générale des ONG et associations environnementales faisant de l'état d'urgence climatique un mot d'ordre, en lui ajoutant peut-être une dimension sociale. Dans tous les cas, relancer une dynamique comparable à celle des Marches pour le climat me semble indispensable.

AE : Pour engager cette dynamique, faudrait-il d'abord trouver un nouvel accord international ou que le Giec produise un nouveau rapport spécial, comme en 2018 ?

A.B. : Peut-être. Mais un tel travail n'est pas à son agenda et, s'il le devenait, pourrait prendre du temps. Or nous n'en avons plus. Malgré la volonté de nombreux scientifiques, le Giec n'est par exemple pas parvenu à s'emparer de la question des points de bascule climatiques : c'est-à-dire les phénomènes biophysiques qui pourraient accélérer le réchauffement et nous faire entrer dans un nouveau régime climatique, probablement très hostile à la vie sur Terre. Plus de 200 scientifiques ont produit un rapport saisissant sur la question en marge de la COP28 et indépendamment du Giec. Il n'en reste pas moins que de nombreux chercheurs, notamment dans le groupe III du Giec (chargé des questions d'atténuation du changement climatique et constitué notamment d'économistes), ont jusqu'à présent préféré relativiser l'urgence et ne préconiser que des transformations progressives.

Leur argument est que nous ne pouvons pas opérer des changements aussi radicaux en si peu de temps ; ou alors qu'il ne faut pas faire peur à la population, qu'il faut être positif et ne pas brusquer les habitudes. Toutes les politiques, nationales ou internationales, des dernières décennies (du Protocole de Kyoto en 1997 aux Stratégies nationales bas carbone en France) sont inspirées par ce gradualisme. Or leur échec est total, puisque les émissions de gaz à effet de serre n'ont même pas commencé à baisser à l'échelle mondiale. La situation d'urgence nécessite de rompre avec cet esprit gradualiste.

Malheureusement, parmi les décideurs politiques, seul le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appelle aujourd'hui à déclarer un état d'urgence climatique. Mais il continue de se confronter à la réticence de nombreux États. Lesquels ont entériné, à cette même COP28, la voie d'une transition graduelle, complètement inadaptée à la situation d'urgence. Certes, l'événement a eu le mérite – une petite plus-value – d'évoquer et d'admettre pour la première fois la nécessité de sortir des énergies fossiles. Mais les engagements actuels ne nous assurent plus de respecter l'objectif fixé par l'Accord de Paris. Nous tendons plutôt vers un réchauffement de 3 °C, qui pourrait signifier un changement de régime climatique catastrophique dans le courant du XXIe ou XXIIe siècle.

AE : Dans votre ouvrage, vous ébauchez un plan de bataille pour mettre en œuvre un tel état d'urgence autour, notamment, du Haut Conseil pour le climat (HCC) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Pourquoi ces deux instances ?

A.B. : La mobilisation citoyenne de 2018-2019 n'est pas parvenue à enclencher une dynamique politique suffisante : aucun État n'a réellement déclaré l'état d'urgence climatique et encore moins élaboré un plan d'action à la hauteur. Si déclarer l'état d'urgence climatique passera inéluctablement, selon moi, par une nouvelle mobilisation citoyenne massive, elle doit aussi susciter un débat politique national. Avec cet ouvrage, je ne prétends évidemment pas dire ce qu'il faudrait faire pour organiser dans le détail une politique d'urgence climatique. Je ne fais qu'effleurer un débat dont il faut à présent discuter plus largement, en s'appuyant sur des instances existantes et en mobilisant toutes les compétences de la société civile. Mais j'ai voulu au moins donner une piste possible. Le HCC et le Cese m'ont paru intéressant parce qu'ils se positionnent précisément, surtout en ce qui concerne le second, entre l'État et la société civile.

Le HCC paraît l'instance la plus légitime pour organiser un débat scientifique permettant, d'une part, de souligner à tous la réalité scientifique de l'urgence climatique et, d'autre part, d'esquisser les solutions et contraintes allant avec l'adoption de moyens d'exception pour y répondre. De son côté, le Cese possède le pluralisme et les moyens susceptibles d'accueillir la grande concertation nationale nécessaire pour trouver un consensus autour d'un état d'urgence climatique. Ce que je propose, c'est que cette concertation aboutisse à un programme d'urgence climatique qui serait soumis aux futurs candidats de l'élection présidentielle, afin que ce sujet soit au cœur des débats démocratiques à venir.

AE : En France, la politique environnementale dépend beaucoup de la législation européenne. Pourtant, vous n'en faites pas mention. Pourquoi ?

A.B. : L'échelle européenne est la plus pertinente à bien des égards, mais la gouvernance européenne rend l'hypothèse compliquée – peut-être encore davantage en fonction du résultat des prochaines élections européennes. D'abord, d'un point de vue juridique, déclarer un état d'urgence quelconque nécessite de faire appel à une législation d'exception qui relève de l'échelon national. Ensuite, le modèle de la gouvernance européenne s'appuie par nature sur la recherche de compromis ou de points communs entre des États, qu'il s'agit de convaincre malgré leurs intérêts parfois opposés. Cela alimente une culture du bras de fer, qui prend parfois beaucoup de temps à se conclure. L'Union européenne souffre, de ce fait, d'une inertie qui rend difficilement envisageable une gouvernance d'urgence, comme un gros paquebot difficile à manœuvrer. Il est vrai que son poids sur le plan mondial aurait de quoi générer un effet d'entraînement, mais je pense qu'il faut commencer à l'échelle nationale. C'est d'ailleurs ce sur quoi misent des laboratoires d'idées anglosaxons, comme The Climate Mobilization, aux États-Unis, ou Breakthrough, en Australie. Ces derniers préconisent d'enclencher la dynamique politique en déclarant symboliquement l'état d'urgence à l'échelon local puis, plus concrètement, sur le plan national avant de diffuser l'idée à l'international.

Cela peut sembler impossible. Mais les think-tanks que je viens d'évoquer aiment à rappeler que, lorsque les États-Unis sont entrés en guerre après l'attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, le combat pouvait sembler perdu d'avance. Pourtant, ce pays a su répondre à l'urgence en janvier 1942 avec son Programme pour la victoire en mobilisant toutes ses forces vives et en transformant radicalement son outil de production afin d'inverser le rapport de force international. C'est un effort similaire qu'il s'agit d'engager aujourd'hui : une sorte de « guerre pour le climat ». Et nous ne pouvons pas nous permettre de la perdre.

1. Consulter la frise d'Actu-Environnement sur vingt ans d'histoire de l'environnement (2003-2023)
https://www.actu-environnement.com/20ans/frise/

Réactions1 réaction à cet article

Cet article dénonce une forme de politique d'adaptation, suite au cap atténuation infranchissable, pour finalement alerter sur une forme d'état d'urgence à déclarer qui serait nécessaire selon certains chercheurs. Forcément le prochain cap c'est la guerre pour le climat... Pour ne pas alerter, il faudrait d'ores-et déjà employer un langage de paix.
Le climat le vaut bien... Engager des états généraux pour le sauvegarder et vivre, ensemble, dans un monde en paix serait préférable. Il n'y a pas de plan B, notamment pour tous, et une seconde planète...Il est temps de programmer de véritables actions concrètes bénéfiques en ce sens. La sortie des énergies fossiles en est une ... Quel méga plan d'action vis-à-vis des objectifs à poursuivre ? Commençons à déclarer des états généraux, avant la catastrophe, dans le but de l'empécher... Le temps est compté en se gardant d'effectuer du "greenwashing" en ces temps dit de transition. Marchons ensemble silencieusement et pacifiquement, main dans la main, pour contrebalancer les déferlements de violence, dont les conséquences sont importantes à la fois sur le plan financier et environnemental, en mettant en scène les trésors encore présent de notre planète...Plutôt que de détruire, programmons, et construisons...d'ores et déjà un nouveau monde autour d'efforts communs à concéder. Il est temps de reconquérir la confiance en un avenir meilleur.

Pépette 01 | 21 mai 2024 à 09h28 Signaler un contenu inapproprié

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