L'objet du projet de loi présenté le 6 septembre en conseil des ministres par Nicolas Hulot paraît simple : interdire immédiatement la production d'hydrocarbures non conventionnels, rendue théoriquement déjà impossible par la loi Jacob de 2011, et mettre fin à la production d'énergie fossile sur le territoire français d'ici 2040.
Mais plusieurs épisodes ont instillé le doute sur la traduction effective de ces deux objectifs dans le texte de loi. Ce fût tout d'abord l'avis du Conseil d'Etat ménageant les droits des pétroliers, avis que le gouvernement a choisi de suivre en modifiant le texte en conséquence. Ce fût ensuite le feu vert donné à Total par Nicolas Hulot pour poursuivre ses recherches d'hydrocarbures au large de la Guyane. Ces deux épisodes furent suivis, au moment de l'ouverture de la discussion du texte à l'Assemblée nationale le 26 septembre, par le rejet en commission des affaires économiques de deux amendements de l'ancienne ministre de l'Environnement, Delphine Batho, visant à clarifier ces deux objectifs de la loi.
Finalement, ces failles dénoncées par les ONG furent en grande partie comblées le lendemain en commission du développement durable. Les députés ont en effet accepté de voter un amendement permettant de fixer à 2040 (1) le terme de toutes les concessions accordées, y compris celles délivrées après la promulgation de la loi en vertu du droit de suite. Ce que ne garantissait pas le texte jusque là. Un autre amendement a été adopté afin d'interdire l'exploitation des hydrocarbures par des techniques non conventionnelles (2) , même si une autre technique que celle de la fracturation hydraulique apparaissait.
"A ce petit jeu, les industriels gagnent toujours"
Les députés ont voté en séance publique les 3 et 4 octobre les différents articles de la loi. Le texte (3) , sur lequel le gouvernement a engagé la procédure accélérée, fera l'objet d'un vote solennel le 10 octobre prochain avant d'être examiné par le Sénat.
Plusieurs associations écologistes avaient dénoncé le dépôt par le gouvernement de deux amendements, finalement adoptés, après une légère modification pour le premier, qui reviennent sur les avancées obtenues en commission du développement durable. L'un prévoit une dérogation au principe du non-renouvellement (4) de toutes les concessions au-delà de 2040 au profit des industriels qui n'auraient pu assurer un retour sur investissement avant cette échéance. "A ce petit jeu, les industriels gagnent toujours (…), ils pourront facilement démontrer qu'il leur faut plus de temps pour assurer une «rentabilité normale» de leurs investissements", estiment quatre ONG (5) en pointe sur la discussion de ce projet de loi. En outre, estiment-elles, avec une telle disposition, le gouvernement prend le risque de recours d'industriels qui seraient fondés à demander des dérogations supplémentaires en invoquant le principe d'égalité de traitement.
"La date butoir de 2040 qui figure dans la loi deviendrait donc purement fictive", avaient alerté les associations avant le vote. D'autant que les députés ont voté une autre dérogation (6) qui permet d'exploiter les hydrocarbures connexes d'un gisement pour un usage local, sans injection dans un réseau de transport ou liquéfaction. Cette disposition devrait pouvoir permettre de poursuivre l'exploitation des gisements dans le bassin de Lacq (Pyrénées-Atlantiques) au-delà de l'échéance de 2040.
L'autre amendement "dézingue" la définition des techniques non-conventionnelles (7) adoptée en commission, explique Juliette Renaud (8) des Amis de la Terre au micro de France Inter. Son adoption affaiblirait l'interdiction d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, "une des avancées les plus importantes adoptées en commission du développement durable la semaine dernière", avaient estimé les ONG.
"Contrairement aux engagements pris, la loi Hulot ne renforce pas la loi de 2011 d'interdiction de la fracturation hydraulique", réagit Maxime Combe après le vote. Le représentant d'Attac déplore par ailleurs que rien ne permette dans le texte de réduire les importations d'hydrocarbures "y compris les plus sales".
"Ne plus accorder aucune concession"
Mais, au-delà même de ces deux reculs aux yeux des ONG, un collectif de militants écologistes (9) appelait les députés, dans une tribune publiée le 2 octobre dans Le Monde, à aller plus loin. En particulier, en s'attaquant au droit de suite, qui peut potentiellement permettre à la trentaine de permis de recherche actuels de déboucher sur autant de concessions, à l'exemple du permis Guyane maritime.
Pour que la loi prenne tout son sens et serve d'exemple au reste de la communauté internationale, expliquaient-ils, elle doit "inclure des dispositions qui permettent à la France de ne plus accorder aucune concession". Une option que Nicolas Hulot n'a pas retenue, soucieux de ne pas remettre en cause les droits acquis des industriels afin de prévenir des contentieux aux conséquences potentiellement très lourdes pour les finances publiques.
Le ministre a d'ailleurs maintenu cette position en faisant rejeter les amendements suscepibles de remettre en cause ce droit garanti par l'actuel code minier.