A horizon 2020, deux millions de véhicules électriques (1) pourraient circuler en France selon les projections. Une évolution qui n'est pas neutre pour le système électrique français… Au moment où la maîtrise des consommations d'énergie est affichée comme une priorité et que la France engage une transition énergétique, comment accueillir ce nouvel usage de l'électricité ?
Un déploiement très consommateur d'électricité…
L'étude d'impact du projet de loi sur la transition énergétique (2) précise que, "sur la base d'une consommation moyenne de 5 l de carburant (diesel ou essence) aux 100 km d'un véhicule thermique neuf, et d'une distance annuelle parcourue de 15.000 km, chaque véhicule électrique se substituant à une voiture thermique conduit à une économie annuelle de 750 litres de carburant". En revanche, elle n'indique pas que ce même véhicule électrique, qui parcourt 15 à 20.000 kilomètres par an, consomme 2 MWh, soit près de 50% de la consommation moyenne annuelle d'électricité d'un foyer (3) .
Selon les estimations, un parc de 2 millions de véhicules électriques représenterait une consommation supplémentaire de 4 à 6 TWh, soit l'équivalent de la production annuelle d'un réacteur nucléaire de 900 MW ou de l'ensemble du parc photovoltaïque installé en 2013. A cette consommation, il faut ajouter celle des véhicules hybrides rechargeables qui devraient se développer en parallèle.
Dans son dernier bilan prévisionnel de l'équilibre offre-demande (4) , le gestionnaire du réseau de transport de l'électricité RTE a étudié plusieurs scénarios de déploiement des véhicules rechargeables à horizon 2030. L'un des scénarios mise sur l'essor de ce type de voitures, dont le parc atteindrait 6,9 millions d'unités en 2030 : 2,1 millions de véhicules électriques et 4,8 millions de véhicules hybrides rechargeables. Résultat : une consommation électrique supplémentaire de 14,6 TWh en 2030. En parallèle, les efforts de rénovation de logements (350.000 par an) permettraient d'économiser 4 TWh en 2030, les mesures d'efficacité énergétique dans l'industrie représenteraient 11,5 TWh…
Si ces projections sont très optimistes et que le déploiement de ces véhicules rechargeables devrait être en réalité en deçà, les réflexions sont nombreuses afin d'anticiper l'arrivée de ce nouvel usage sur le réseau électrique.
Eviter de peser sur les périodes de pointe de consommation
Le défi est d'éviter une surcharge du réseau liée à la recharge des batteries aux heures de pointe. En hiver, le pic de consommation se situe en début de soirée (19h-20h), lorsque les consommations domestiques s'ajoutent à l'éclairage public… Si au même moment, les propriétaires mettent en charge leur véhicule électrique, la puissance appelée risque d'atteindre des records. De nouveaux moyens de production de pointe devront alors être déployés. Or, ils sont souvent plus émetteurs en gaz à effet de serre.
Dans une feuille de route sur les bornes de recharge (5) , l'Ademe souligne que le développement des véhicules rechargeables doit être en cohérence avec l'objectif du facteur 4 (6) . Pour cela, une attention particulière doit être portée "à la puissance et à la consommation électrique des véhicules [mais aussi] aux ressources énergétiques mobilisées pour alimenter le futur parc". Dans une comparaison de l'analyse de cycle de vie des véhicules électriques et thermiques, l'Ademe souligne que le bilan gaz à effet de serre des premières dépend du mix énergétique : le mix actuel français est bien plus favorable que l'allemand, très carboné aujourd'hui. A moins que les véhicules soient chargés à l'heure de pointe, mobilisant ainsi des moyens de production thermiques.
Pour éviter cela, cette nouvelle demande d'électricité devra être lissée. Dans un livre vert (7) publié en 2011, le sénateur Louis Nègre (UMP, Alpes Maritimes) estimait qu'il fallait "un juste calibrage de l'infrastructure de recharge accélérée et rapide, pour réduire le risque de concentration de la charge sur des heures de pointe, et des incitations tarifaires pour favoriser une recharge à puissance normale en heure creuse". Ainsi, la recharge lente doit être privilégiée (de 3 à 7 kW), les recharges rapides (50 kW) et accélérées (22 kW) ne doivent servir que de solutions d'appoint. Pour inciter le propriétaire de véhicule rechargeable à le brancher seulement pendant les heures creuses (entre 23h et 6h), les fournisseurs d'énergie pourraient développer des signaux tarifaires. Un opérateur extérieur, qui pilote à distance la recharge des véhicules, autrement dit un agrégateur de flexibilité, pourrait également intervenir.
Des expérimentations pour évaluer l'impact sur le réseau
"Selon le mode de charge ou, plus probablement, la combinaison de modes de charges qui émergera, l'impact sur l'équilibre du système électrique pourra être fortement contrasté", souligne RTE. Le gestionnaire du réseau de transport de l'électricité a lancé en mai 2014 une expérimentation sur l'un de ses sites en région lilloise. Objectif : "Tester l'intégration opérationnelle des véhicules électriques en recharge lente pour des besoins quotidiens de RTE". Un dispositif de pilotage des recharges de véhicules électriques sera également expérimenté.
Le gestionnaire du réseau de distribution ERDF participe également à des expérimentations, dans le cadre du projet Infini Drive, mené à Nice, Grenoble, Nantes et Paris, qui vise à tester un système de pilotage des infrastructures de recharge. "A l'horizon 2020, si l'impact estimé sur la consommation nationale devrait être limité (1 à 2% de consommation supplémentaire), l'impact local pourrait être bien supérieur, si l'implantation des bornes de recharge et le mode de recharge ne sont pas maîtrisés", analyse le groupe. Pour illustrer, ERDF indique qu'une recharge complète d'un véhicule électrique représente en équivalent la puissance d'un chauffe-eau si la recharge dure 8 heures, d'un immeuble pour 1 heure ou d'un quartier urbain pour 3 minutes.