Une consultation du public (1) s'est ouverte ce lundi 6 mai concernant une demande de prolongation d'un essai de peupliers OGM et ce, jusqu'au 27 mai prochain. Depuis 1995 l'Institut national pour la recherche agronomique (Inra) travaille sur des peupliers modifiés génétiquement afin de maîtriser la fabrication de la lignine présente dans ces arbres et de modifier les propriétés du bois. Les peupliers testés sont modifiés au niveau de la voie de biosynthèse des lignines par l'introduction de séquences de gènes de peuplier correspondant à des enzymes clés pour la synthèse des lignines.
Selon le dossier présenté par l'Inra (2) , les travaux déjà menés ont démontré que "le bois d'une des lignées de peuplier GM évaluées présentait des propriétés très intéressantes pour l'industrie papetière puisque permettant de produire un papier de meilleure qualité tout en réduisant la quantité de produits chimiques coûteux et polluants nécessaire à l'élimination des lignines".
Dans le cadre de la prolongation d'essai demandée, l'Inra s'intéresse cette fois à évaluer les lignines modifiées dans la perspective d'une production de carburant végétal. "Pour produire du bioéthanol à partir de bois, le ratio entre lignines et cellulose est déterminant, de même que l'accessibilité de la cellulose au mélange enzymatique capable de la digérer pour produire l'éthanol. Cette accessibilité dépend en partie de la qualité des lignines du bois", explique l'Inra.
Après des essais sous serre, l'Institut espère pouvoir expérimenter ces espèces dans des conditions représentatives des conditions naturelles et produite de grande quantité de bois. Pour convaincre de l'intérêt des essais en champ, l'Inra estime que de telles études pourront être utiles pour affiner les procédés de production de bioéthanol, orienter la sélection génétique (par des voies classiques) de clones plus performants pour la production de bois-énergie et acquérir un savoir sur les avantages mais aussi les risques potentiels que poserait l'utilisation d'arbres génétiquement modifiés (GM). "Si non envisagée en France, la commercialisation d'arbres GM est déjà un fait en Chine, et celle d'arbres GM à lignines modifiées est envisagée à court terme dans d'autres parties du monde (par exemple en Amérique du Sud)", rappelle l'Inra.
Le test est prévu sur une durée de cinq ans (du 1 Janvier 2013 au 31 décembre 2017), dans une zone de la pépinière de l'unité de recherche située sur la commune de Saint-Cyr en Val (3) , dans le Centre de Recherche Inra d'Orléans. La plantation sera localisée sur les parcelles déjà utilisées lors de la précédente expérimentation, d'une surface totale de 1.363,5 m2.
Des avis divergents sur l'utilité de l'expérimentation
La demande de l'Inra a été soumise à l'avis du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) qui a donné un avis mitigé. Le comité scientifique (4) a donné une réponse positive : "compte tenu des caractéristiques des dix lignées de peupliers à lignines modifiées, du dispositif expérimental, des pratiques culturales et des mesures de précaution et de surveillance proposées, (…) l'expérimentation ne présente pas de risques identifiables pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement."
Par contre, pour la majorité des membres du Comité économique, éthique et social (CEES) (5) , la demande d'extension ne devrait pas être satisfaite : "Même si le risque direct est minime [ces membres] ne voient pas de réel intérêt à procéder à un nouvel essai dont les objectifs sont mal définis, l'argumentaire flou, l'utilité collective limitée et les éventuels débouchés industriels à terme porteurs de nombreuses interrogations aux plans socio-économique et éthique". Une position qui a fait réagir l'Association Française de des Biotechnologies Végétales (AFBV) : "l'arrêt de cette expérimentation serait pénalisant pour la recherche de voies innovantes nécessaires pour développer en France une énergie renouvelable à partir de la biomasse." L'AFBV estime par ailleurs que le CEES (6) "sort de sa mission d'évaluation des risques des [plantes génétiquement modifiées] pour se positionner en censeur de la recherche publique. N'assiste t'on pas à une certaine instrumentalisation du HCB ?", s'interroge l'association.
De son côté la confédération paysanne prend le parti du CEES dont elle est membre : "Il y a quinze ans, cet essai avait pour but de fournir de la matière première pour fabriquer du papier. Mais les papetiers ne veulent pas de ces OGM. C'est pourquoi l'Inra propose de s'en servir comme biomasse pour fabriquer des carburants", explique la Confédération qui craint surtout le déploiement des cultures énergétiques aux dépends des terres agricoles ou des terres "marginales, véritables réservoirs de biodiversité".