Délégué général d'Enerplan
Actu-environnement : La semaine dernière, l'avocat Ariane Vennin a porté de graves accusations de fraude à l'encontre d'EDF Energies nouvelles (EDF EN) qui aurait antidaté des documents pour échapper au moratoire. Que vous inspirent ces propos ?
Richard Loyen : Sur les "fraudes", je ne me prononce pas car je n'ai pas les pièces et je ne me base pas sur des rumeurs. Ce sont des accusations graves et il y a beaucoup de bruit autour de tout cela, mais je ne sais pas quels sont les éléments concrets. J'attends de voir si Ariane Vennin ira devant les tribunaux ou si EDF EN attaquera en diffamation.
Par contre ce que je constate, et qui me gêne beaucoup plus, c'est qu'EDF EN a un projet de centrale à Beaucaire de plus de 260 mégawatts (MW) qui bénéficie du tarif d'achat. Or, la loi réserve ce tarif aux installations de moins de 12 MW. Elle bénéficie donc d'un tarif prévu pour des "petits" projets alors qu'elle utilise un effet de levier sur les coûts. Sur ce projet, le kWh est racheté un peu plus de 27 centimes, pour des coûts qui chutent vraisemblablement sous les 20 centimes.
AE : Pensez-vous que le projet est "saucissonné", pour reprendre le terme d'Ariane Vennin ?
RL : Ça mériterait de faire l'objet d'une enquête administrative pour savoir comment les services de l'Etat et RTE ont laissé passer une vingtaine de sociétés qui ont acheté des projets de moins de 12 MW clés en main à EDF EN, projets qui seront par ailleurs exploités par EDF EN. Qui possède ces sociétés propriétaires de bouts de centrale ?
Si ce n'est pas illégal, ça me paraît pour le moins immoral. On peut s'interroger sur le fait qu'un opérateur contourne aussi ouvertement l'esprit de la loi et puisse en profiter malgré tout. C'est une vraie question. Surtout qu'avec le site de Beaucaire, on est à 260 MW, soit quasiment le double des 150 MW que les pouvoirs publics souhaitent accorder aux dizaines de PMI du photovoltaïque intégré au bâti grandes toitures. C'est un vrai sujet politique : est-ce qu'on souhaite que le photovoltaïque profite à quelques grandes entreprises ou est ce qu'on veut que ce soit mieux réparti pour développer des grappes de PMI/PME ?
On propose 150 MW, soit une "misère", pour l'intégré au bâti hors résidentiel individuel, sacrifiant au passage le développement des bâtiments à énergie positive, et on laisserait passer un projet complètement en dehors de l'esprit de la loi ?
AE : Comment considérez-vous les liens entre EDF EN et les deux gestionnaires du réseau ?
RL : S'agissant d'ERDF, les règles me paraissent claires et connues de tous. Après il y a RTE et sa file qu'on a découverte en début de concertation. Enfin, c'est vrai qu'EDF EN représente une part importante des projets en attente de raccordement. Cependant, je ne suis pas certain qu'on puisse parler de conflit d'intérêts. Qu'EDF EN "siphonne" de la CSPE avec la complicité active des autres entreprises du groupe EDF ne me paraît pas le bon scénario.
Par contre, on peut s'interroger sur l'usage de la marque "EDF" qui est apparentée à l'image de service public. Avec EDF EN, on est face à une entreprise privée, ça ne me dérange pas, mais il convient de bien distinguer les deux.
AE : Que pensez-vous du regard porté par EDF sur le photovoltaïque ?
Je suis plus gêné quand EDF nous dit que répartir 500 MW par an c'est trop et qu'il n'en faudrait que 300. Ça correspond à une position claire d'EDF qui ne veut pas de photovoltaïque en France et qui reste dans sa vieille culture de production électrique centralisée.
Ca me gêne d'autant plus qu'EDF reste la principale source d'influence de la politique énergétique française, ce qui fait d'ailleurs demander à nos dirigeants, qu'au niveau européen, le nucléaire soit considéré sur le même plan que les énergies renouvelables. La situation est pourtant claire : la politique énergétique européenne est renouvelable et il y a une directive européenne, ratifiée il y a 2 ans par le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Le nucléaire reste lié aux décisions des Etats membres et ne doit pas être financé par les fonds dédiés aux énergies renouvelables.
AE : Considérez-vous que cette politique vous pénalise ?
RL : En France, on a un mur nucléaire à franchir. Je pense qu'on devrait étendre au nucléaire la transparence en matière de coût qu'on exige des énergies renouvelables. Cela, y compris concernant le démantèlement et la gestion des déchets. On voit bien le débat entre EDF, l'ASN et l'Andra : on ne parle que de la gestion des déchets enterrés et on évoque plusieurs dizaines de milliards d'euros. EDF voudrait du stockage "low cost" les autorités indépendantes disent qu'on ne badine pas avec la sécurité. Et l'on n'a pas encore abordé les provisions pour démantèlement, l'essentiel de la facture est donc devant nous et n'a pas été intégré dans le coût du kWh jusqu'à présent. La hausse sera d'autant plus difficile à supporter socialement, que nous utilisons massivement le chauffage électrique.
AE : Qu'attendez-vous de la concertation à l'approche du 11 février ?
RL : J'espère que Jean-Michel Charpin et Claude Trink iront au-delà de la feuille de mission qui visait à répartir les 5.400 MW d'ici 2020. Avec 500 MW par an, on pousse l'industrie à la faillite et on laisse passer le train de la technologie photovoltaïque. Ça a été entendu et compris, on espère donc un scénario alternatif. Ca se jouera avec un arbitrage interministériel et probablement un peu plus à Bercy, voire à l'Elysée.
Il faudrait un tarif d'achat régionalisé pour optimiser l'investissement des Français et éviter que le photovoltaïque ne se développe qu'au sud de la France. De même il faudrait prendre en compte la taille des projets, pour optimiser les tarifs et prendre en compte les effets d'échelle. De notre côté, il faut aussi que les professionnels du secteur assument leurs responsabilités en matière d'optimisation de leur offre, avec des engagements sur la productibilité qui doit durer 20 ans.