Stabiliser la hausse des températures à +2°C d'ici à 2050 suppose une réduction drastique des émissions : - 25% au minimum en 2020, - 75% en 2050 pour les pays industrialisés. Reste à savoir comment. Cette urgence en rencontre une autre : celle de boucler le contenu des futures négociations climatiques, inhérentes à la deuxième période du Protocole de Kyoto, qui s'ouvrira en 2012, et pour laquelle la communauté internationale doit rapidement s'accorder sur les futurs objectifs de réductions d'émissions de gaz à effet de serre. Selon les échéances fixées par le Protocole, il ne reste plus que deux ans pour définir les trajectoires futures, à l'occasion des deux prochaines conférences internationales sur le climat qui se tiendront en 2008 en Pologne à Poznan, et à Copenhague au Danemark en 2009, et qui devraient être décisives.
Compte à rebours politico-climatique
La Commission prépare la feuille de route des Européens. En 2007, en vue des négociations de Bali sur le climat, le Conseil européen a adopté un premier « paquet » climat-énergie portant sur les émissions futures de l'Union européenne, qui prévoyait un objectif de – 20 % d'émissions d'ici à 2020, voire de – 30% si d'autres pays industrialisés s'engageaient à des réductions comparables. Ces objectifs, réaffirmés lors du Conseil européen de mars 2008, sont inférieurs à ceux que recommande le GIEC pour les pays industrialisés, qui préconise une réduction de leurs émissions comprise entre 25 et 40% d'ici à 2020. L'objectif de réduction de 20% des gaz à effet de serre européens est, en outre, relativisé par le fait que les pays de l'Est nouveaux entrants, tels que la Roumanie, disposent de grandes quantités de crédits carbone ('hot air') en raison de leur désindustrialisation récente.
Reste à évaluer l'intégrité environnementale des moyens choisis pour parvenir à maîtriser les émissions futures. Réductions à la source ou recours aux mécanismes de flexibilité proposés par le Protocole de Kyoto, avec leur cortège d'échappatoires ? Les deux mécanismes principaux du Protocole permettent des transactions de permis d'émissions, soit entre pays industrialisés (ETS), soit en échange de transferts de technologie vers les pays de l'Est (MOC) et les pays dits en voie de développement (MDP). La Commission européenne a accordé aux Etats membres la possibilité de recourir à ce type de crédits d'émissions pour respecter un tiers de leur objectif chiffré. Or le Protocole de Kyoto engage les pays industrialisés à ne recourir à ce mécanisme d'échange de CO2 qu'en supplément d'efforts effectifs de réduction à la source. D'autres priorités auraient pu être fixées, comme la promotion des économies d'énergie. Dans ses conclusions, le Conseil européen du printemps 2007 définissait l'efficacité énergétique comme l'un des éléments essentiels de la stratégie globale sur le changement climatique et l'énergie, et soulignait la nécessité d'atteindre l'objectif de réduire de 20% la consommation énergétique de l'UE d'ici à 2020. Mais lors du Conseil européen du 13 mars 2008 l'objectif de réaliser, par le biais de mesures contraignantes, une part des réductions des émissions futures grâce aux économies d'énergie a été écarté.
Des quotas de carbone en surabondance
C'est un autre dispositif qui a été privilégié : la refonte du système européen d'échange de quotas de CO2. Entré en vigueur le 1er janvier 2005, le système communautaire d'échange de quotas d'émissions préfigure le marché mondial de carbone prévu par le Protocole de Kyoto. En Europe, ce marché ne concerne pour le moment que les industries lourdes, à l'origine de 40% du volume total des émissions européennes. Il reste donc à élargir la portée du système des quotas à d'autres secteurs, tels que les transports aériens, en forte croissance. Cette priorité se justifie par la nécessité de rendre efficace, sur un plan écologique, ce système qui jusqu'à présent s'est illustré par son incapacité à enrayer les émissions de gaz à effet de serre. En raison d'une surallocation des quotas accordés par les Etats aux industries lourdes et aux électriciens, le prix de la tonne de CO2 a atteint son plus bas niveau fin 2007 : moins d'un euro la tonne d'équivalent CO2. La Commission en a tiré la leçon : puisque les Etats ont cédé à la pression des lobbies industriels et leur ont accordé des quotas de CO2 en abondance, ils se voient retirer la faculté d'allouer ces quotas. C'est désormais la Commission qui en aura la compétence.
Pour que le dispositif ait quelque chance d'avoir un impact réel sur les émissions de CO2, les Européens envisagent la mise aux enchères des quotas de CO2, sorte de droit d'entrée payant pour accéder au système. Jusqu'à présent, la gratuité d'accès aux certificats de CO2 profitait aux industriels : une manne estimée à quelque 15 milliards d'euros. A partir de 2013, la totalité des quotas destinés au secteur énergétique sera mise aux enchères. Cette dîme reviendra aux pays membres et permettra en principe de financer des politiques sectorielles en faveur des énergies renouvelables ou de l'efficacité énergétique, sous réserve que les Etats membres ne la reversent pas à leur budget général.
Autre point en suspens : la maîtrise des « fuites » de carbone. Le spectre de la délocalisation est agité par les industriels concernés, cimentiers, sidérurgistes, chimistes… Ceux-ci craignent de subir des distorsions de concurrence en raison de l'obligation qui leur est faite de respecter leur plafond de quotas. Selon le député européen Claude Turmes (Verts), le fameux carbon leakage est un mythe. Arcelor et consorts font comme s'ils étaient des compagnies européennes. En réalité, ils sont très peu exposés à la globalisation puisqu'ils sont partout présents, en Chine, en Tunisie, au Maroc…. Et la plupart des industries lourdes extra-européennes se sont modernisées, même au Kazakhstan. Les oligopoles de l'acier et du ciment cherchent à échapper aux plafonnements d'émissions pour pouvoir répondre à l'explosion de la demande d'acier et de béton de la Chine et de l'Inde. Ils préféreraient définir eux-mêmes des objectifs volontaires, à travers un Global Sector Agreement taillé sur mesure, plutôt que de se les voir imposer.
Or l'encadrement du système va être déterminant pour sa crédibilité internationale. En instituant en 2005 un marché européen d'émissions, l'Union européenne est devenue un laboratoire unique au monde de marché du carbone, dont le bilan écologique s'est avéré peu convaincant en raison du laxisme des Etats. Il lui faut donc réformer le système pour qu'il parvienne à établir un prix à la tonne de CO2 suffisamment dissuasif pour limiter le recours aux permis d'émission et encourager des comportements écologiquement vertueux. Le marché européen des quotas est le marché de référence. En matière de climat, l'Union européenne produit des normes vouées à être mondialisées étant donné son rôle moteur dans les négociations climatiques. Il importe de parvenir à une efficacité environnementale de ces processus. En clair, plus la tonne de CO2 sera chère, moins elle sera prisée. Pour éviter les fuites, il s'agit d'unifier le système par un mécanisme d'ajustement à la frontière, en proposant un instrument d'égalisation qui obligerait tout exportateur passant par l'Union européenne d'acheter des quotas dans l'espace européen. De même pour les compagnies aériennes extra-européennes, qui se verraient ainsi soumises aux mêmes conditions que les compagnies européennes. Celles-ci n'auraient plus de raison de continuer à réclamer des quotas gratuits de CO2 alors que le compte à rebours climatique a commencé.