Le paradoxe de la transition énergétique et écologique réside dans le fait qu'elle incarne un nouveau modèle de société, mais voit ses modes de financement demeurer encore quasi inexistants. C'est ce que souligne, dans un avis présenté le 10 septembre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui présente des pistes pour la financer. Démarche concrète visant à promouvoir le passage d'une société fondée sur la consommation abondante d'énergies fossiles à une société plus sobre en énergie tout en réduisant la précarité, la transition écologique a été officialisée lors de la Conférence environnementale de septembre 2012 par le président de la République.
A quoi devraient servir les investissements dans la transition écologique ? A financer, d'abord, la formation et l'accompagnement au changement, afin de permettre la diffusion de la compréhension des enjeux environnementaux et de favoriser l'émergence de nouveaux métiers et savoir-faire. Par la formation continue, il s'agira aussi d'accompagner les salariés dans les entreprises, et de stimuler la mise en mouvement des acteurs dans les territoires. Ensuite, l'investissement, selon le Cese, doit servir à faire émerger de nouvelles solutions technologiques : production d'énergie, infrastructures de transport, réseaux intelligents, stockage de l'énergie, bâtiments et objets efficaces et sobres, nouveaux processus... Enfin, l'investissement devra servir à entretenir les infrastructures existantes : bâtiments, réseaux, mais aussi infrastructures de biodiversité.
Le choix de financer la transition écologique mobilise une conviction, fondée sur une vision anticipatrice : l'inaction sera plus coûteuse que le pari de la transition. Nicholas Stern, dans un rapport qui a fait date, n'a-t-il pas estimé que l'action contre le changement climatique coûterait 1% du PIB mondial, alors que ses conséquences en cas d'inaction baisseraient d'environ 5% ce PIB ? Pour la biodiversité, ces coûts seraient encore plus élevés, comme l'a montré l'étude TEEB conduite par Pavan Sukhdev sous l'égide des Nations unies. Les dégâts sur les biodiversité sont évalués, pour la planète entière, entre 1.300 et 3.000 milliards de dollars par an. A l'échelle globale, il faudrait environ 300 milliards de dollars par an pour maintenir l'ensemble des écosystèmes : un chiffre modeste en regard du PIB mondial.
Mieux cerner les coûts de la transition
Combien coûterait la transition écologique ? Pour l'Union européenne, certains experts avancent l'estimation de 350 à 400 milliards d'euros (Md€) par an sur dix ans, soit 3% du PIB européen, la moitié de ce montant étant consacré à réduire les émissions de gaz à effet de serre. En France, les besoins annuels de financements additionnels pour protéger la biodiversité ont été évalués à 0,7 Md€ a minima par le groupe de travail « biodiversité » du Grenelle de l'environnement, en 2007. Pour la protection des milieux marins, le financement nécessaire est estimé à 495 millions d'euros en 2010, contre 37 millions actuellement, selon les chiffres du CGEDD cités par l'avis du Cese. En ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, elle ne passe pas seulement par des leviers financiers, mais par le choix de mesures sans regret, ou par la conditionnalité des investissements.
La rénovation de 500.000 logements par an préconisée lors de la Conférence environnementale de septembre 2012 nécessite la mobilisation de 800 à 1.000 Md€ pour l'ensemble des bâtiments, mais ces chiffres sont à nuancer du fait que l'intégration de la qualité environnementale ne comptera que pour une part mineure dans le total des dépenses de rénovation à effectuer de toute manière. Pour autant, la connaissance des besoins de financement de la transition écologique reste parcellaire. Le Cese recommande de mieux les cerner.
Vers une nouvelle étape du Grand emprunt ?
Avant de mobiliser un ensemble de financements, la transition écologique nécessite l'affirmation d'une vision, d'un cap politique commun, souligne Gaël Virlouvet, rédacteur de l'avis du Cese : "Le modèle de croissance est en fléchissement continu depuis des décennies. Faut-il relancer la croissance à tout prix ou inventer un nouveau modèle ?". Les panels de citoyens sollicités au cours du débat sur la transition énergétique estiment dans leur grande majorité que ce nouveau cap serait une chance pour leur pays, gage d'une nouvelle prospérité. D'autant que ce nouvel horizon politique serait créateur d'emplois grâce à un plus grand appel aux services et à la reterritorialisation des activités.
Comment rendre "économiquement attractive" la transition écologique ? Le Cese propose plusieurs voies complémentaires : jouer sur le prix des ressources à préserver et taxer les activités polluantes par la fiscalité écologique, appuyer par des aides dédiées les investissements d'intérêt commun, faciliter l'accès au crédit pour les investissements en faveur de la transition écologique, consolider et harmoniser les critères extra-financiers. Le Cese recommande d'investir pour l'avenir grâce à une nouvelle étape du Grand emprunt, de mobiliser la Banque publique d'investissement, de continuer à explorer le tiers investissement qui permet aux prêteurs de se rembourser avec les économies réalisées sur les factures d'énergie, de mobiliser plus clairement l'épargne issue du Livret de développement durable sous l'égide de la Caisse des dépôts, de soumettre les gestionnaires d'assurance-vie et de fonds de retraite à l'obligation de clarifier annuellement leurs engagements vis-à-vis de la transition écologique. Le Cese invite à poursuivre la montée en puissance d'un système de financement qui vise à la cohérence entre les prélèvements écologiques et les aides à la transition écologique, pour financer les avancées des territoires. Le Cese propose enfin de mobiliser la création monétaire à l'échelle nationale et européenne.