"Gaz de schiste, peut-on se passer d'une source d'énergie ?" Tel était le thème proposé aux participants de l'un des douze ateliers organisés dans le cadre des premières assises du droit et de la compétitivité par le Club des juristes et l'Institut Montaigne. "Une question faussement naïve" a estimé en introduction Thierry Tuot, conseiller d'Etat, sous-entendant que la réponse était contenue dans la question.
En réalité, il a peu été question de compétitivité et de l'intérêt d'exploiter les hydrocarbures non conventionnels. "Le pétrole à 30 dollars le baril va mettre tout le monde d'accord", a ironisé Marc Fornacciari, avocat et membre honoraire du Conseil d'Etat, suggérant que la chute du prix du baril a refroidi l'enthousiasme de la plupart des acteurs du secteur. Brocardant les hommes politiques français, les participants se sont surtout attachés à réclamer l'ouverture d'un débat dépassionné, chacun espérant parvenir à convaincre l'opinion publique et les décideurs.
Absence d'information préalable
En ouvrant le débat, Philippe Crouzet, président du directoire de Vallourec, est revenu sur l'exemple nord-américain et sa singularité. "Ce qui est réellement exceptionnel, c'est le business model", estime le premier fournisseur mondial de tubes destinés à l'exploitation pétrolière et gazière. Il pointe en particulier le faible taux d'échec de l'exploration et l'investissement initial relativement faible pour le secteur, deux aspects qui distinguent le domaine des hydrocarbures non conventionnels de celui des hydrocarbures conventionnels. Cependant, "ce modèle n'est probablement pas transposable ailleurs, ou tout au moins rapidement", alerte-t-il, estimant que seul le Royaume-Uni est réellement préparé à devenir le prochain candidat à l'exploitation du gaz de schiste.
Reste que personne n'a cherché à informer la population avant d'accorder des permis en France, déplore pour sa part Elisabelle Bourgue, présidente de No Fracking France, soulignant les risques de fuite liés, entre autres, à la cimentation des puits et à leur fermeture après exploitation. "Une attribution légale mais pas concevable au XXème et XXIème siècles", commente Marc Fornacciari, en référence au code minier.
Une loi adoptée en 15 jours
Dans ce contexte, la loi du 13 juillet 2011 interdisant le recours à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures ne satisfait aucun intervenant.
Elle a été adoptée par des parlementaires qui méconnaissent l'expertise scientifique et "sans débat économique, ni écologique", estime Philippe Crouzet, considérant qu'ils se sont basés sur le film Gasland, "un faux avéré". "La classe politique est de très mauvaise qualité", regrette Marc Fornacciari. Comme Philippe Crouzet, il dénonce un débat mené dans l'urgence et "tranché en quinze jours sans débat scientifique". "On a adopté une loi sans réfléchir, sur ce point on est tous d'accord", estime la présidente de No Fracking France, ajoutant qu'"un moratoire aurait permis de peser les enjeux du débat".
Les reproches ne se limitent pas à l'adoption de la loi. L'abrogation de trois permis d'exploration en octobre 2011 et les annonces épisodiques de refus d'attribution de permis sont aussi critiquées. Ainsi, Elisabelle Bourgue a rappelé qu'en 2011, seul Schuepbach avait déclaré explicitement prévoir l'utilisation de la fracturation hydraulique, ce qui justifiait l'abrogation de son permis. En revanche, Total a perdu son permis alors que comme l'ensemble des autres détenteurs, l'entreprise française n'avait pas évoqué l'usage de la fracturation hydraulique. "On retire les permis comme on libère les otages à Noël", conclut-elle, évoquant une "démarche électoraliste". Un constat partagé par Marc Fornacciari qui a défendu Schuepbach lorsque l'entreprise a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel contre la loi du 13 juillet 2011.