Ancien président de l'Académie nationale de chirurgie, Professeur émérite à l'Université Paris Sud
Actu-Environnement.com : Pourquoi un professeur de chirurgie s'intéresse-t-il à la pollution atmosphérique ?
Henri Bismuth : Car je traite des cancers. Une grande partie d'entre eux provient d'addictions à des agents pathogènes créés par l'homme : l'alcool, le tabac, l'alimentation industrielle mais aussi la pollution de l'air. Contrairement aux trois premiers qui créent des pathologies spécifiques, la pollution de l'air augmente la fréquence de pathologies communes et on en parle donc moins. La relation entre pollution et pathologies est toutefois indiscutable. L'étude Escape, par exemple, montre que le fait d'habiter à moins de 100 mètres d'un axe routier important occasionne une surmortalité de 9%. Au final, la pollution de l'air fait 40.000 morts par an en France et constitue la deuxième cause de mortalité due à une production humaine après le tabac. Il s'agit donc d'un problème de santé préoccupant à traiter de façon urgente.
AE : Pourquoi s'attaquer à la circulation automobile ?
HB : La pollution de l'air en ville est due à plus de 50% à la circulation des véhicules thermiques. D'où l'urgence de faire baisser de façon conséquente leur utilisation. Mais, comme dans un protocole thérapeutique, on ne traite pas une addiction par un interdit, comme le montrent les interdictions sur les voies sur berge ou le diesel qui sont mal vécues. La marche et la
AE : En quoi consiste l'offre de mobilité que vous proposez ?
HB : Il s'agit du système TUPI pour Transport Urbain Public Individuel que l'on pourrait considérer comme un traitement contre la pollution de l'air à la fois curatif et préventif. Il vise à assurer, pour les trajets quotidiens (travail, études, école, achats, loisirs) cette mobilité capillaire. Elle prendra le relai du transport collectif, en complémentarité de la mobilité active (vélo, marche à pied, nouvelles "glisses" urbaines, etc.), et de la mobilité individuelle périurbaine particulièrement dépendante de la voiture particulière.
En plus de la lutte contre la pollution atmosphérique urbaine, notre système vise à proposer aux automobilistes une nouvelle expérience de mobilité urbaine plus conviviale et moins stressante. De plus, il contribue à ouvrir le marché des véhicules électriques à l'économie de la fonctionnalité ou "servicielle". Ainsi, il privilégiera la performance et la valeur d'usage, chacun des véhicules de notre flotte assurant un maximum de trajets par jour, à la possession et à la valeur d'échange. L'objectif est d'utiliser la ressource de mobilité – le véhicule électrique – sur un cycle de vie rallongé pour réduire les consommations d'énergie fossile et de matières premières par rapport au parc de voitures thermiques personnelles actuel.
AE : Comment cela se traduit-il concrètement ?
Nous déployons une grande flotte de petits véhicules électriques avec des chauffeurs salariés circulant en permanence dans la journée et se rechargeant la nuit dans les parkings publics. Nous disposons d'un système de géolocalisation des véhicules breveté en 2009, avant l'arrivée d'Uber en France. Les clients disposeront d'une application, avec une icône facturante, leur permettant de disposer d'un véhicule en moins de cinq minutes. Le dispositif permettra de redéployer la flotte durant la journée en fonction des besoins, notamment aux abords des grandes gares, des zones commerciales et de loisirs, ou en cas d'événements.
AE : Par qui votre projet est-il porté ?
HB : Nous avons créé une société animée par les valeurs de l'économie sociale et solidaire. Nous sommes prêts à travailler avec des grands groupes industriels (constructeurs automobiles, opérateurs de parkings publics, taxis, etc.) et recherchons des partenaires financiers, mais ceux-ci attendent l'engagement des pouvoirs publics. Nous travaillons avec l'Ademe et nous avons contacté le ministère de la Transition écologique et solidaire, la Ville de Paris, qui serait intéressée par la mise en place du système sur les quatre arrondissements centraux de la capitale, le Syndicat des transports d'Ile-de-France et la métropole du Grand Paris.
AE : En quoi consiste le projet parisien ?
Pour la capitale, nous prévoyons une flotte de 15.000 véhicules. En septembre, nous lançons l'étude de dimensionnement du démonstrateur pilote du système. L'objectif est de faire baisser la circulation des véhicules thermiques de 50%, ce qui occasionnera une baisse sensible de la pollution et une fluidification de la circulation. L'organisation des Jeux olympiques à Paris constitue un horizon particulièrement intéressant pour déployer notre système. Techniquement, tout existe, même s'il manque encore des points de charge électrique, et le système pourrait être mis en place dans un délai de six mois. Pour assurer sa rentabilité, plusieurs usages doivent toutefois être possibles. Le transport sécurisé d'écoliers est à l'étude.
AE : En quoi votre projet se distingue-t-il d'une offre comme celle d'Uber et ne craignez-vous pas une fronde des taxis ?
HB : Le coût sera bien inférieur à celui d'Uber, il pourrait d'ailleurs être pris en charge par l'employeur et être intégré au Pass Navigo par exemple. De plus, les chauffeurs sont salariés et les véhicules électriques. Quant aux taxis, nous souhaitons les intégrer au système en leur transférant les courses avec plus d'un passager, à condition qu'il s'agisse d'un véhicule électrique, et nous leur proposons de ne pas occuper volontairement certains créneaux : le marché des courses de nuit et la desserte des aéroports. Nous arriverons, j'en suis persuadé, à un consensus car nous nous inscrivons dans une démarche sincère de collaboration visant la complémentarité. Rappelons-le, il est question d'un enjeu de santé publique majeur. Les taxis comme les chauffeurs Uber ne sont-ils pas eux-mêmes les premières victimes de la pollution aérienne urbaine, vivant en permanence dans la circulation automobile ?