L'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a lancé en octobre 2012 une étude visant à analyser le potentiel des technologies à hydrogène comme "vecteur énergétique" et dessiner les contours d'une filière structurée en France. Dans quelles mesures l'hydrogène (H2) peut-il contribuer au mix énergétique français "de demain" en plein débat national sur la question ? Le député de Moselle Laurent Kalinowski et le sénateur du Tarn Jean-Marc Pastor ont présenté le 4 juin leur rapport d'étape qui fait le point sur les applications possibles de cette technologie, évaluant ses atouts et faiblesses, et ont formulé leurs premières recommandations pour soutenir une filière industrielle nationale.
Un vecteur d'énergie "durable" aux applications variées
Si pour l'heure, l'hydrogène est principalement utilisé dans l'industrie du raffinage du pétrole et de la pétrochimie (notamment pour la production d'ammoniac, de méthanol ou de carburants conventionnels), son utilisation, sous forme gazeuse, en tant que vecteur suscite l'intérêt croissant d'industriels pour sa capacité à transporter et stocker l'énergie à haute pression (350 ou 700 bars). Dans ce contexte de mutation énergétique, l'hydrogène constitue un moyen de répondre à la problématique de stockage des énergies renouvelables intermittentes (éolien, solaire…). Autres avantages : avec la maturation des technologies des piles à combustible miniaturisées, l'hydrogène peut être utilisé comme prolongateur d'autonomie des batteries pour les véhicules électriques, pour alimenter les chariots élévateurs et téléphones portables ou doper le rendement des unités de cogénération. Son pouvoir calorifique lui permet aussi d'être utilisé directement comme combustible (véhicules, cogénération, injection dans le réseau gazier).
Aujourd'hui, l'hydrogène est surtout produit par vaporeformage du gaz naturel mais plus rarement par électrolyse de l'eau qui présente pourtant "l'avantage décisif de l'absence d'émission de gaz à effet de serre". Le vaporeformage du gaz naturel permet ainsi "d'atteindre un coût attractif", d'environ 2 €/kg d'hydrogène mais génère de l'ordre de 10 kilogrammes de CO2 par kilogramme d'hydrogène produit. Tandis que pour l'électrolyse de l'eau : "son rendement électrique, de l'ordre de 50 à 80%, conduit à un coût de l'ordre de 5 à 10 €/kg d'hydrogène". Néanmoins, "l'hydrogène présente toujours du fait de sa densité très faible un inconvénient en tant que vecteur d'énergie car il nécessitera des volumes et il est coûteux à transporter", nuance le sénateur Jean-Marc Pastor. L'hydrogène doit en effet être compressé ou liquéfié lors de son stockage et de son transport qui s'avèrent "plus difficiles et plus coûteux que celui des hydrocarbures liquides ou gazeux".
"C'est moins la viabilité technique de ces solutions que leur coût qui déterminera leur développement sur un marché donné. Même si les applications énergétiques de l'hydrogène mettront encore du temps à se diffuser, elles seront amenées à se diversifier dans les années qui viennent", assurent les parlementaires.
Développer l'hydrogène renouvelable dans les territoires
Comment développer l'hydrogène dont l'utilisation est encore marginale dans l'Hexagone ? La France est "très retard sur ces applications" alors qu'elle dispose ''d'un extraordinaire potentiel scientifique et industriel dans le domaine de l'hydrogène énergie'', rappellent les parlementaires. La raison ? Le travail de recherche et développement mené dans les années 2000 (par l'ANR ou
Or, la France ne manque pas d'atouts dans ce domaine notamment au travers de nombreux brevets déposés sur des technologies telles que l'électrolyse, la pile à combustible ou encore le stockage d'hydrogène sous forme solide,
Parallèlement dans l'Hexagone, des projets concrets sont en cours de réalisation en partenariat avec les collectivités locales : "Dans les Pays de Loire pour des applications dans le transport fluvial, en Corse pour le stockage de l'énergie photovoltaïque ou encore en Midi-Pyrénées pour le reformage de biogaz issu des déchets ménagers", liste Jean-Marc Pastor, également président de l'association PHyRENEES (communauté de l'hydrogène en Midi-Pyrénées). Des projets de déploiement industriel dédiés aux piles à combustible et aux véhicules routiers à hydrogène ont également fait l'objet de deux appels à manifestation d'intérêt (AMI), lancés en 2011 et 2012 par
Reste donc à structurer une filière industrielle au niveau national. "Pour être durable et économiquement compétitive, la production d'hydrogène devra s'effectuer principalement de façon décentralisée dans les territoires au plus près des besoins", recommandent les parlementaires. Une nouvelle gouvernance décentralisée de l'énergie "est l'un des volets indispensables au développement de la filière", estime l'Opecst. Associer localement moyens de stockage de l'énergie et EnR variables "permet de réduire de façon très sensible l'impact de ces dernières sur le réseau électrique, donc les besoins d'adaptation de celui-ci", poursuit le député Laurent Kalinowski. L'hydrogène est aussi "cohérent avec les autres technologies en cours notamment dans le domaine des réseaux intelligents" (smart grid), ajoute-t-il.
Adapter la réglementation
Autres recommandations "fondamentales pour lancer la mécanique", selon les termes de M. Pastor : une implication "très claire" de l'Etat avec une réglementation adaptée. Les parlementaires appellent l'Etat à suivre les politiques volontaristes menées au Japon depuis 2004 et en Allemagne depuis 2005 pour développer la filière hydrogène énergie et faire face à la montée en puissance des énergies renouvelables intermittentes et à l'arrêt de la production d'électricité d'origine nucléaire.
La "position attentiste du pays" contraste avec le Japon et l'Allemagne qui ont lancé un plan reposant sur un triptyque : "un engagement fort du gouvernement en faveur du vecteur hydrogène, l'élaboration d'un programme de 10 ans avec des objectifs précis et enfin, la mise en place d'une structure coordinatrice entre acteurs privés et publics travaillant sur le programme et un schéma de financement", rappellent les rapporteurs. L'Allemagne et le Japon ont ainsi signé des protocoles d'accord avec les constructeurs automobiles et prévoient d'ici fin 2015, la construction, respectivement, de 50 et 100 stations à hydrogène. La France doit donc "s'inspirer de ce triptyque", considèrent-ils.
Reste aussi à lever les obstacles réglementaires qui "découragent" les porteurs de projets : "Pour équiper un entrepôt d'un chariot élévateur à hydrogène, on demande à l'industriel d'appliquer les règles comparables à celles conçues pour les installations de production d'hydrogène", souligne M. Pastor. Les parlementaires appellent donc l'Etat à adapter la réglementation à celle liée à la gestion du gaz naturel comme en Allemagne et au Japon. Côté investissements : l'Allemagne a notamment débloqué 1,4 milliards d'euros sur 10 ans dont la moitié issue de l'Etat. Un budget qui reste conséquent en période de crise…
Le rapport définitif sera remis à l'automne avant les débats parlementaires début 2014 sur le projet de loi de programmation pour la transition énergétique. "Ce rapport doit provoquer une réaction du gouvernement et être suivi d'un texte de loi afin de mettre en oeuvre un programme de développement de la filière" d'ici l'automne 2014, espère M. Pastor.