Du 26 juillet au 8 septembre prochains, la France accueillera la nouvelle édition d'été des Jeux olympiques et paralympiques avec une promesse : diviser par deux leur bilan carbone par rapport à celui des Jeux de Londres en 2012 et de Rio en 2016 (passant sous silence l'édition tokyoïte, organisée en pleine pandémie de Covid-19 et en l'absence de spectateurs).
Le 23 avril, le Gouvernement proclamait même déjà, dans un premier compte rendu (1) des travaux réalisés et des progrès légués, que ces « Jeux agissent comme un véritable accélérateur de la transition écologique ». Pourtant, comme le souligne la branche francilienne de l'association France Nature Environnement (FNE), « ce n'est qu'à l'issue des JO que nous pourrons mesurer leur exemplarité annoncée en termes d'environnement et d'héritage et l'inscription dans la durée des évolutions concrètes ». Cela étant, dans un rapport (2) publié le 15 avril, Carbon Market Watch, une ONG européenne spécialisée dans le reporting carbone, et Éclaircies, un laboratoire d'idées français, ont tenté de l'évaluer au regard, d'une part, des promesses initiales et, d'autre part, de l'empreinte des réalisations engagées depuis.
Une affaire de promesses
En soi, la stratégie climat des Jeux de Paris 2024 formulée en 2021 n'émane pas purement de la volonté française. Elle est la première à s'appuyer sur les lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la mesure de l'impact environnemental, à laquelle le Comité international olympique (CIO) a décidé de soumettre toutes les olympiades à partir de 2030. Elle adhère également à l'initiative « Sports pour l'action climatique » lancée en 2019 par les Nations unies, qui vise à diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre des événements sportifs d'ici à 2030 par rapport à 2019.
Résultat : Paris vise un bilan carbone net de 1,5 million de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone (MtCO2e), contre environ 3,3 MtCO2e pour les éditions 2012 et 2016. Dans son document stratégique, le comité national d'organisation des Jeux estime déjà le partage de ce bilan : 39 % des émissions émaneront des transports (dont plus des deux tiers du fait du déplacement de spectateurs, notamment de l'étranger), 32 % des constructions (plus de deux tiers provenant des neuves) et 29 % de la gestion et de la logistique de l'événement (dont la nourriture, la consommation d'énergie et les achats nécessaires aux compétitions).
Les transports et la construction neuve dans le viseur
Dans le détail, s'agissant par exemple des travaux engagés, les ONG saluent que 95 % des sites souhaités ont été envisagés dans une logique d'utilisation d'infrastructures existantes ou d'installation d'équipements temporaires (les stands le long de la Seine, au Trocadéro ou au Champ-de-Mars) à réutiliser, réemployer ou recycler ultérieurement – quoique, sur ce point, « aucune information publique n'existe sur les actions prévues et donc sur l'impact environnemental réel de ces constructions ». Du reste, trois sites en Seine-Saint-Denis constitueront des constructions nouvelles léguées ensuite : le Centre aquatique ainsi que le Village des Athlètes et le Cluster des médias, qui seront reconvertis en un écoquartier de 4 000 logements et bureaux. Les concernant, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) s'est engagée dans une stratégie d'écoconception, « ambitieuse, mais faisable » selon les ONG, limitant leur empreinte à 650 kilogrammes d'équivalent CO2 par mètre carré (kgCO2e/m2), contre 1 400 kgCO2e/m2 en moyenne dans la construction neuve française. Les auteurs du rapport en question regrettent cependant que 100 % des bâtiments nécessaires n'étaient pas déjà existants.
Des efforts pour l'eau et la biodiversité ?
Les organisateurs des Jeux olympiques de Paris 2024 n'ont pas eu que le climat en tête. L'événement bénéficiera également de la mise en œuvre du plan Baignade 2018-2024 de la Seine, engagé avec 700 millions d'euros, qui visait notamment à assainir suffisamment le fleuve pour y nager en 2025. Le Gouvernement a ainsi inauguré, le 23 avril, la nouvelle station de dépollution des eaux pluviales du ru de la Lande, à Champigny-sur-Marne, et promet que « 10 000 mauvais branchements seront résorbés d'ici à l'été 2024 », ouvrant « 32 sites de baignade potentiels ». Il assure, par ailleurs, que l'écoquartier créé autour du Village des athlètes, à Saint-Denis, « contribuera à protéger la biodiversité avec ses toitures favorables aux insectes et oiseaux, ses clôtures perméables permettant le passage de la petite faune et près de 9 000 arbres et arbustes plantés ». Ce à quoi FNE Île-de-France répond que l'ensemble de ces chantiers olympiques ont néanmoins participé à « augmenter la densification urbaine aux portes de Paris et le long du boulevard périphérique » et conduit à des destructions d'espaces verts « comme celle des jardins ouvriers d'Aubervilliers ».
Mais le vrai point noir en la matière reste évidemment les émissions liées au transport des spectateurs étrangers. Déjà estimée à environ 0,5 MtCO2e, elles n'ont même pas été abordées par la politique climatique des Jeux. Comme le remarquent les auteurs du rapport, aucun encouragement, incitatif ou purement communicationnel, à prendre le train plutôt que l'avion n'a par exemple été diffusé. Les organisateurs auraient pu notamment inciter les spectateurs éloignés à prendre le train en jouant sur le prix des tickets ou en offrant des réductions sur les billets des épreuves.
En outre, les ONG estiment à 8 % le poids de la consommation énergétique des logements et des infrastructures sportives, laquelle, promettent les organisateurs, sera couverte à 100 % par des énergies renouvelables. Néanmoins, comme elles le remarquent dans leur rapport, aucune information n'est donnée sur la faisabilité de cette promesse, que celle-ci repose hypothétiquement sur l'achat de garanties d'origine (GO) ou des contrats de gré à gré (PPA). De la même manière, elles regrettent que les organisateurs français usent des termes « neutre en carbone » ou « zéro émission » pour qualifier les achats d'équipements sportifs – allégations que le CIO, lui-même, condamne.
Une nouvelle vision des Jeux ?
Mais, en somme, même avec la plupart des efforts engagés avec les Jeux de Paris 2024, l'organisation de tels rendez-vous sportifs à dimension mondiale pose encore question d'un point de vue climatique. « L'organisation des Jeux, même avec un objectif de sobriété et de durabilité, apparaît en décalage avec le changement fondamental de paradigme que nous souhaitons pour un monde vivable », maintient même FNE Île-de-France. Mais comme l'a prouvé le bilan carbone des Jeux de Tokyo en 2021 (2,7 MtCO2e), premiers exempts de spectateurs étrangers, la meilleure alternative à un monde sans Jeux olympiques serait avant tout de revoir le modèle de spectatorat et, en cela, les transports et constructions associés.
« À toutes choses égales par ailleurs, un plus grand nombre de visiteurs augmente la taille des infrastructures nécessaires (équipements sportifs, hôtels, réseau de transports) et le trafic aérien, soulignent les deux ONG. Nous proposons de distribuer la tenue des différentes épreuves, au même moment, à différents pays et de restreindre l'accès physique uniquement à des spectateurs locaux ou proches. De ce fait, les plus grosses sources d'émissions de gaz à effet de serre pourront être atténuées sans impacter la magnitude culturelle de l'événement. » Et d'en faire de même également pour les Jeux olympiques d'hiver qui, « bien qu'ils attirent généralement moins de spectateurs, demandent davantage de nouvelles constructions plus énergivores et plus spécialisées, donc moins réutilisables par la suite ».