Le 3 septembre dernier, six jeunes Portugais annonçaient le dépôt d'une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). L'objectif ? Reconnaître la responsabilité de 33 États européens (1) , dont la France, dans la crise climatique. « En cas de succès, les 33 pays seraient légalement tenus, non seulement de renforcer les réductions d'émissions, mais aussi de s'attaquer aux contributions étrangères au changement climatique, y compris celles de leurs entreprises multinationales », expliquait Global Legal Action Network (GLAN), l'ONG qui soutient les requérants.
Ceux-ci viennent de franchir une étape importante dans leur action. Par une communication (2) publiée ce lundi 30 novembre, la Cour de Strasbourg a notifié la requête aux 33 États mis en cause. Le 13 octobre, le président de la section en charge de l'affaire avait estimé que cette requête devait être examinée de façon prioritaire. « Sachant qu'une infime minorité des plaintes déposées devant la Cour européenne des droits de l'homme bénéficient d'une procédure accélérée et sont communiquées, cette étape est très significative », se félicite Gearóid Ó Cuinn, directeur du GLAN.
Vagues de chaleur record
Quelles sont les motivations des requérants ? Les six jeunes Portugais, âgés de 12 à 21 ans, sont confrontés à des vagues de chaleur record. Dans leur requête, ils insistent sur la menace grandissante que représente le dérèglement climatique pour leur vie et pour leur bien-être physique et mental. Quatre d'entre eux vivent à Leiria, une des régions les plus touchées par les incendies qui ont tué 120 personnes en 2017, explique Global Legal Action Network. Tandis que les deux autres vivent à Lisbonne où un record de chaleur de 44° C a été établi en août 2018. Selon un rapport rédigé par Climate Analytics, un institut de science et de politique climatique à but non lucratif, le Portugal est un « point chaud » du changement climatique qui devrait subir des vagues de chaleur mortelles.
Les requérants estiment que les État visés par la procédure n'ont pas pris les mesures adéquates pour limiter les émissions à l'origine de ce dérèglement climatique. Que ce soit sur leur territoire ou à l'étranger. Concernant leurs émissions extérieures, ils demandent l'interdiction d'exportation des combustibles fossiles, la compensation des émissions résultant des importations de biens, ainsi que la limitation des émissions à l'étranger résultant de leurs multinationales.
« L'un de nos objectifs en intentant cette affaire est d'encourager les tribunaux nationaux à prendre des décisions qui obligent les gouvernements européens à prendre les mesures nécessaires pour faire face à l'urgence climatique", avait expliqué Marc Willers, avocat principal dans cette affaire, à l'occasion du dépôt de la requête.
Nouvelles perspectives dans le contentieux climatique
La Cour pose trois questions aux parties. La première est celle de savoir si les faits dénoncés sont de nature à engager la responsabilité des États mis en cause « pris individuellement ou collectivement en raison de leurs politiques et réglementations nationales ou, selon le cas, européennes ». Dans l'affirmative, se pose la question de savoir si les requérants ont subi « directement ou indirectement et sérieusement » les conséquences de l'action insuffisante des États pour atteindre la cible de 1,5 °C de l'Accord de Paris. Enfin, si la réponse est là aussi positive, les États se sont-ils acquittés des obligations qui leur incombaient en vertu des dispositions applicables de la Convention européenne des droits de l'homme, lues au regard des principes de précaution et d'équité intergénérationnelle ?
L'obligation d'épuiser les voies de recours devant les juridictions nationales, comme l'exige pourtant la CEDH, équivaudrait à imposer aux requérants « une charge excessive et disproportionnée », indique la communication de la juridiction strasbourgeoise. « Une réponse efficace de la part des juridictions de tous les États membres apparaît nécessaire, puisque les juridictions nationales ne peuvent émettre d'injonctions qu'à l'égard de leur propres États », ajoute-t-elle. De quoi ouvrir des perspectives nouvelles dans le contentieux climatique.
Suite à cette communication s'ouvrent maintenant deux phases procédurales. Les parties doivent indiquer avant le 15 janvier 2021 si elles souhaitent parvenir à un règlement à l'amiable. « Si elles ne parviennent pas à un accord, la procédure entre dans une phase contentieuse durant laquelle les parties échangent leurs observations », indiquent les services de la CEDH.
Quoi qu'il arrive, les États mis en cause vont devoir redoubler d'effort sur leur politique climatique.