Pourtant si, la lutte contre le changement climatique reste une priorité, elle est affaiblie par l'absence d'une réforme claire et globale de la fiscalité écologique, et par son retard sur les constats du dernier rapport du GIEC, qui énonce la nécessité de diviser par 20 plutôt que par quatre les émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés d'ici à 2050.
Le système français de répartition des aides de la Politique agricole commune est maintenu et sa réforme reportée à 2012. L'agriculture biologique, formellement encouragée, reste cependant dans une niche, appelée à coexister avec l'agriculture conventionnelle et bientôt les OGM, sans pour autant voir émerger un modèle de production 100% durable d'ici à 2020. En revanche, et cela va dans le sens des préconisations initiales des ONG environnementales, l'épandage aérien de pesticides, est interdit « sauf dérogations ». Un amendement de l'opposition est retenu en faveur d'une évaluation toxicologique indépendante relative aux effets des substances chimiques sur les abeilles. Mais la loi recule sur les quarante substances les plus dangereuses vouées à être retirées du marché, du fait que certaines d'entre elles demeurent autorisées par la réglementation européenne. Selon un amendement présenté par le rapporteur de la loi, Christian Jacob, et adopté en Commission des affaires économiques mardi 30 septembre, « le Grenelle ne saurait conduire à retirer du marché des substances qui peuvent être utilisées par nos voisins européens, car cela constitue une distorsion de concurrence injustifiée pour notre agriculture ». Pour autant, un autre amendement de la majorité supprime une disposition surprenante de la loi Grenelle, qui consistait à repousser de trois ans la suppression des phosphates dans les produits destinés au lavage industriel de vaisselle, qui, selon l'amendement, « ne se justifie ni par l'absence de solutions techniques alternatives, ni par un surcoût prohibitif ».
Corridors biologiques et autoroutes
L'engagement n°73 dans la version initiale du Grenelle précisait que la trame verte, constituée de grands ensembles naturels, et la trame bleue, son équivalent pour les eaux de surface continentales et leurs écosystèmes associés, « permettent de créer une continuité territoriale, ce qui constitue une priorité absolue ». Dans son analyse du projet de loi Grenelle, la Fondation Nicolas Hulot rappelle le caractère essentiel pour la biodiversité de cette continuité territoriale : pour s'adapter à une évolution de leur milieu, se reproduire et survivre, les espèces vivantes ont besoin de se déplacer et d'échanger les unes avec les autres. Afin que cette continuité territoriale soit effective, il faut que cette trame verte et bleue ne soit pas sans cesse remise en question par des projets d'infrastructures ou le développement incontrôlé des zones urbaines. D'où l'engagement initial de la première version du Grenelle, qui pose une « trame verte et bleue opposable aux grandes infrastructures ». Cette notion d'opposabilité a disparu du texte de la loi, qui précise simplement que « les modalités d'insertion de la trame verte et bleue dans les documents d'urbanisme et les schémas d'infrastructures, ainsi que les conditions de sa prise en compte par la fiscalité locale seront précisées ». Qu'un amendement de la majorité vienne proposer la substitution du mot « insertion » par les mots « prise en compte » n'y change rien substantiellement, même si son exposé des motifs souligne que « la constitution d'une trame verte et bleue ne présente d'intérêt pour les espèces animales que si une continuité territoriale des grands ensembles peut être garantie à travers des corridors écologiques ». En l'état, le projet de loi permet la construction d'infrastructures lourdes sur le tracé de la trame verte.
D'autres points majeurs du Grenelle initial ont disparu de la loi. Au départ, le Grenelle prévoyait le gel des projets autoroutiers et des projets d'aéroports. A l'arrivée, la loi stipule dans l'article 9 que « l'Etat veillera à ce que l'augmentation des capacités routières soit limitée au traitement des points de congestion », ce qui constitue un glissement sémantique par rapport aux dispositions initiales du grenelle, qui affirmait que « la capacité routière globale du pays ne doit plus augmenter, sauf pour éliminer les points de congestion ». La demande des ONG environnementales de lancer la réalisation d'un nouveau schéma d'infrastructures nationales selon un processus de concertation semble avoir été abandonnée. L'autouroute A65 Langon-Pau verra bien le jour en Aquitaine, malgré la mobilisation des associations locales, et la construction de l'aéroport Notre-Dame des Landes est confirmée. De même, le projet de grand contournement de Strasbourg a été déclaré d'utilité publique, mais celui de Bordeaux a été abandonné.
Difficile, au bout du compte, d'avoir une vision d'ensemble des orientations données au secteur des transports, en l'absence d'un schéma national préalablement discuté sur la place publique. Du côté du fret ferroviaire, les choses semblent évoluer dans le bon sens puisque la commission des affaires économiques a adopté un amendement stipulant que « les moyens dévolus à la politique des transports des marchandises sont mobilisés pour faire évoluer la part de marché du non routier de 14 à 25 % à l'échéance 2022. En première étape, le programme d'action permettra d'atteindre une croissance de 25% de la part de marché du fret non routier d'ici 2012 ». Pour autant, le fret « non routier » ne fait qu'englober le fret ferroviaire et relativise donc sa part. C'est ce qui inquiète France Nature Environnement, qui constate la grande difficulté de mettre en œuvre le développement du fret ferroviaire, tandis que le Réseau Action Climat propose en vain que la loi formule clairement que, dans la perspective d'une révolution écologique véritable, la route et l'avion deviennent des solutions de dernier recours et que deux millions de camions doivent, d'ici à 2012, être transférés de la route vers le rail.
Le nucléaire, cheval de Troie de la loi Grenelle
Réunies en un comité opérationnel de dernière minute le 30 septembre, les parties prenantes au groupe de travail sur le climat et l'énergie ont découvert un amendement surprise proposé à l'article 4 par les députés UMP Patrick Ollier et Serge Poignant, proposant un subterfuge sur l'objectif de 50 kilowatteures par mètre carré par an dans les bâtiments neufs. Cette disposition phare du Grenelle vient de recevoir une étrange interprétation de la part des parlementaires de la majorité, au motif qu'il s'agit de « ne pas privilégier une énergie par rapport à une autre ». Selon cet amendement, « pour les énergies qui présentent un bilan avantageux en termes d'émissions de gaz à effet de serre, ce seuil [de 50 kw/h par m2 par an] sera relevé à raison inverse des émissions de gaz à effet de serre générés par l'énergie utilisée, conformément aux dispositions du premier alinéa ». En clair, cette disposition permettra aux bâtiments neufs chauffés par convecteurs électriques d'être moins bien isolés que les autres. Les ONG ne tardent pas à réagir et lancent aussitôt un « Appel de Grenelle » : les partenaires s'étaient accordés sur cette idée : l'enveloppe est une priorité puisqu'elle est là pour cinquante ans. Si pour une raison quelconque la nature des systèmes de chauffage venait à changer demain, il faudrait alors gérer la mauvaise qualité des enveloppes.... Premier échec collectif. Nos élus ont-ils conscience qu'en adoptant cet article de loi, ils signent l'arrêt de mort de Grenelle et celui de la construction de bâtiments performants au seul bénéfice d'un lobby égocentriste attaché à une technologie désuète que seule au monde la France cherche encore à promouvoir ?. De fait, cette prime au chauffage électrique revient à conforter l'industrie nucléaire qui demeure intangible, malgré la mutation écologique appelée par Nicolas Sarkozy dans son discours de Toulon le 25 septembre, et en incohérence avec un autre amendement à la même loi Grenelle, selon lequel « les objectifs d'efficacité et de sobriété énergétique exigent la mise en place de mécanismes d'ajustement et d'effacement de consommation d'énergie de pointe ». Alors qu'un colloque de la communauté nucléaire internationale, réuni jusqu'au 2 octobre à Avignon, vient de chiffrer à 500 milliards de dollars le coût du démantèlement des installations nucléaires civiles dans le monde, l'objectif du préambule de la loi Grenelle, qui « assure la croissance actuelle sans compromettre les besoins des générations futures », risque de n'avoir qu'une portée rhétorique.