La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a condamné aujourd'hui 13 juin la France pour manquement dans la mise en œuvre de la directive nitrates.
La Commission avait annoncé le 27 février 2012 qu'elle allait traduire Paris devant la Cour, après lui avoir adressé un avis motivé en octobre 2011. Elle reprochait à la France une désignation incomplète des zones vulnérables à l'occasion de leur révision effectuée en 2007, estimant que dix zones vulnérables dans les bassins Rhin-Meuse, Loire-Bretagne, Rhône-Méditerranée-Corse et Adour-Garonne auraient dû être ajoutées.
Plusieurs zones vulnérables oubliées
La Cour juge que la France a effectivement omis de désigner en tant que zones vulnérables plusieurs masses d'eau de surface et souterraines contenant, ou risquant de contenir, des teneurs en nitrates excessives. La décision porte sur l'état de la mise en œuvre de la directive à la date du 28 décembre 2011, date d'expiration du délai imparti par la Commission pour se mettre en conformité. La Cour précise que les changements intervenus par la suite ne sont pas pris en compte dans sa décision.
Le Gouvernement français ne conteste pas le manquement. Mais il a fait valoir auprès de la Cour, d'une part, que les dix zones additionnelles identifiées par la Commission ne devaient pas nécessairement l'être dans leur intégralité et, d'autre part, que la procédure de révision des zones vulnérables était en cours à l'échéance de l'avis motivé. Il a rappelé que des instructions avaient été adressées aux préfets coordonnateurs de bassin par une circulaire du 22 décembre 2011 leur demandant de fixer la liste des communes en zones vulnérables au plus tard en décembre 2012.
Les nouveaux programmes d'action à la peine
Mais la situation est-elle pour autant régularisée aujourd'hui ? Il est permis d'en douter et la France n'en a sans doute pas fini avec la justice européenne. Certes, le ministère de l'Ecologie a procédé à la révision des zones vulnérables pour la fin de l'année 2012 et rendu publique la carte correspondante début mars. Mais la FNSEA a annoncé en février qu'elle déposait des recours contres les arrêtés de délimitation. D'autre part, les nouveaux programmes d'actions, qui définissent les mesures à prendre sur ces zones, sont à la peine.
Les programmes d'actions départementaux auraient dû être remplacés à compter du 1er septembre 2012 par un programme d'actions national, complété au 1er juillet 2013 par des programmes d'actions régionaux. Mais les ministres de l'Agriculture et de l'Ecologie ont annoncé début mars, à l'occasion du salon de l'Agriculture, un assouplissement des mesures du programme national en faveur de l'élevage. Un projet de décret, soumis à la consultation du public en avril, prévoit également de prolonger jusqu'en 2014 les programmes d'actions départementaux.
Les chambres d'agriculture, qui viennent de rendre leur avis sur le programme national, indiquaient le 6 juin avoir "pris acte des modifications apportées par les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie suite aux réunions de concertation menées avec la profession agricole". Mais elles dénoncent le manque d'évaluation des conséquences économiques, la non-prise en compte de la diversité des contextes pédo-climatiques et l'arsenal de mesures réglementaires "qui s'empilent au fil de la transposition de la directive nitrates, et conduit les agriculteurs dans des impasses techniques et économiques de plus en plus criantes".
Menace de très fortes sanctions pécuniaires
"Les gouvernements français ont préféré appliquer la directive a minima faisant ainsi supporter aux contribuables et aux consommateurs le milliard d'euros que coûte chaque année la pollution des eaux par les nitrates, plutôt que de faire évoluer les systèmes de production agricoles" dénonce de son côté Jean-François Piquot, porte parole de l'association Eau et Rivières de Bretagne, qui relève par ailleurs que cette condamnation intervient trois jours après que l'Assemblée nationale a abandonné le projet de taxation des engrais à base d'azote minéral. L'eurodéputée Sandrine Bélier estime aussi que l'Etat français "cède depuis des décennies aux sirènes des lobbies de l'agriculture intensive et s'éloigne de son rôle de garant de l'intérêt général".
"Le déni de réalité dans lequel la France s'enfonce en matière de pollution des eaux nous revient en boomerang avec une double peine : pollution de nos eaux par les nitrates avec les algues vertes, pour lesquelles la cour d'appel de Rennes vient encore de condamner l'Etat et menace de très fortes sanctions pécuniaires", réagit l'ancienne ministre de l'Ecologie, Corinne Lepage.
Comme le souligne l'avocat spécialiste du droit de l'environnement, Arnaud Gossement, "ce dossier est sans doute l'un des plus graves échecs non seulement dans l'application mais pour le droit de l'environnement". Il révèle, ajoute le juriste, "une carence importante du dialogue environnemental qui reste à organiser véritablement" ainsi qu'"une incapacité de l'Etat à exercer ses pouvoirs de police et à organiser un nouveau modèle agricole".