La future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) renoncera-t-elle à planifier une réduction de la part du nucléaire d'ici 2028 ? Validera-t-elle la stratégie de prolongement des réacteurs français jusqu'à 50 ans dans l'attente de la construction de nouveaux réacteurs EPR ? Ces deux hypothèses portées par EDF seraient sur le point d'être reprises par le gouvernement, craignent les ONG environnementales. "Le gouvernement pourrait suivre quelque chose d'assez proche du cahier d'acteur d'EDF", résume Anne Bringault, coordinatrice transition énergétique du Réseau Action Climat (RAC). Ce choix serait "néfaste", estiment les ONG environnementales françaises, à l'occasion d'une conférence de presse ce jeudi 14 juin.
Echos favorables à EDF
EDF l'a dit clairement : l'entreprise ne compte pas fermer de réacteurs nucléaires avant 2029 et elle veut que le gouvernement lance un EPR "nouveau modèle" à l'horizon 2020. L'absence de réaction du gouvernement inquiète les ONG. Pire, Anne Bringault évoque des "échos favorables" du gouvernement aux propos d'EDF. Certes, "une partie du gouvernement ouvre les yeux, mais l'autre ne veut pas se détourner du nucléaire", confirme Célia Gautier, de la Fondation pour la Nature et l'Homme (FNH). D'où la crainte que la PPE soit construite autour des doléances d'EDF. Et la représentante de FNH de rappeler que Jean-Bernard Levy a expliqué la semaine dernière à l'Assemblée nationale qu'EDF doit continuer à construire de nouvelles centrales, "un peu comme un cycliste qui pédale pour ne pas tomber".
Mais, à ce stade, les ONG estiment que le nouveau nucléaire n'est pas le vrai sujet, il s'agit surtout d'un moyen pour obtenir la prolongation du parc actuel. Avec le projet de grand carénage, "EDF prend une décision unilatérale et le gouvernement laisse faire", résume Alix Mazounie, de Greenpeace. La décision de poursuivre le fonctionnement du parc nucléaire au delà de 40 ans est prise sans tenir compte des capacités financières et techniques d'EDF. Sur le premier point, la représentante de Greenpeace estime qu'"EDF est en quasi faillite", plombée par une dette brute de 67 milliards d'euros et onze années successives de cash flow négatif. Quant à l'aspect technique, il pose des questions en terme de sûreté : la présence d'un millier de pièces ne répondant pas aux critères du secteur et le vieillissement des installations illustrent les problèmes de la filière.
Pourtant, la réduction du nucléaire serait bénéfique à EDF et à l'Etat. En effet, explique Marc Jedliczka, du Réseau pour la transition énergétique (Cler), cela permettrait de réduire la surproduction électrique qui sévit en Europe, renvoyant les prix de gros de l'électricité à des niveaux plus convenables pour les producteurs. Outre le bénéfice tiré par EDF, cela permettrait aussi de réduire la charge pour les finances publiques qui compensent l'écart entre le prix de vente subventionné des renouvelables et le prix de marché.
Ne pas faire fausse route
Plutôt que de "faire fausse route", le gouvernement devrait engager la transformation du système électrique français. "L'un des enjeux phares de la nouvelle feuille de route énergétique de la France est de planifier la fermeture de réacteurs nucléaires et de définir les investissements à faire dans le secteur de l'électricité", estiment les ONG. Elles mettent l'accent sur le secteur électrique car il s'agit du "facteur dimensionnant du système énergétique français", explique Marion Sevaz (FNE). En effet, un quart de la consommation énergétique française se fait via ce vecteur.
Pour convaincre le gouvernement, elles avancent dix raisons. Tout d'abord, la consommation française est appelée à diminuer, rappellent-elles, citant notamment les prévisions de RTE : toutes les trajectoires de consommation électrique utilisées par le gestionnaire de réseau pour ses scénarios sont en baisse ou stables à l'horizon 2035. "Pourquoi ne pas aller plus loin ?", interroge Marion Sevaz, expliquant que des potentiels d'efficacité et de sobriété énergétique restent inexploités, notamment dans le bâtiment. Et de rappeler que le scénario négaWatt envisage une baisse de la consommation électrique de 25% d'ici 2035.
En matière de réduction des émissions de CO2, "les contraintes identifiées par le gouvernement n'en sont pas", explique Célia Gautier, de la Fondation pour la Nature et l'Homme. Par exemple, le développement du véhicule électrique (de l'ordre de 15 millions d'unités en 2035) n'empêche pas RTE d'anticiper une réduction de la consommation. Surtout, le potentiel des renouvelables reste très important en France, compte tenu du retard accumulé. En effet, la France est le deuxième pays de l'Union européenne le plus éloigné de son objectif pour 2030, expliquent les ONG, alors que le potentiel est évalué à 699 gigawatts (GW) dans le scénario négaWatt.