En novembre dernier, le Conseil d'État, saisi par Grande-Synthe, Paris, Grenoble et l'Affaire du siècle, jugeait que l'État ne respectait pas la trajectoire qu'il s'est lui-même fixé pour réduire de 40 % ses émissions de CO2 d'ici 2030 (par rapport à 1990). Cependant, il estimait ne pas disposer des éléments suffisants pour préjuger de l'atteinte (ou non) de cet objectif final sans mesures supplémentaires. Le Conseil d'État a donc accordé un délai de trois mois au Gouvernement pour qu'il justifie que la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être respectée sans qu'il soit nécessaire de prendre des mesures supplémentaires.
Lundi 22 février, « le Gouvernement a transmis au Conseil d'État son mémoire justifiant que les mesures prises sont suffisantes pour atteindre l'objectif de 2030, en matière d'émissions de gaz à effet de serre », indique le Conseil d'État. Un mémoire de onze pages, selon Guillaume Hannotin, avocat du collectif l'Affaire du siècle, s'appuyant sur l'étude d'impact du projet de loi Climat et résilience, réalisée par le Boston consulting group (1) . « Ce qui est frappant dans la posture de l'État, c'est qu'il ne produit pas d'étude », s'étonne l'avocat.
De son côté, le collectif a remis à la Haute juridiction une étude (2) commandée au cabinet de conseil Carbone 4. Celle-ci tend à démontrer que l'État ne respectera pas l'objectif climatique de 2030. « Il y a un retard patent sur les trois secteurs clés [responsables de la moitié des émissions nationales]. Et les autres secteurs ne permettront pas de rattraper le retard, analyse César Dugast, consultant chez Carbone 4. L'État devra également composer avec des facteurs aggravants, comme la hausse des ambitions climatiques de l'Europe. (...) Il est urgent de se doter de mesures supplémentaires pour aller plus loin ». Le collectif espère que ses arguments seront suffisamment convaincants pour que le Conseil d'État enjoigne le Gouvernement à prendre de nouvelles mesures en faveur du climat. L'instruction s'ouvrira en avril et une audience publique est prévue pour l'été.
Les mesures actuelles ne suffisent pas
Pour faire sa démonstration, Carbone 4 a écarté les effets de la conjoncture sur l'évolution des émissions, comme la crise économique de 2008 ou la crise sanitaire actuelle, pour se concentrer sur les « facteurs structurants » permettant d'obtenir des réductions structurelles et pérennes. Les mesures prises par le Gouvernement dans trois secteurs clés, représentant la moitié des émissions nationales, ont ainsi été examinées. Elles portent sur le transport de passagers, le bâtiment et l'agriculture.
Onze paramètres ont été choisis et comparés avec le niveau à atteindre pour respecter la stratégie bas carbone (SNBC) : le trafic ferroviaire, la part modale du vélo, la part des véhicules particuliers à faibles émissions, la nombre moyen de passagers par véhicule particulier, le nombre total de logements rénovés de manière performante, le nombre de logements chauffés au fioul ou au gaz, la taille du cheptel bovin à viande, la part de déjections méthanisées, la part des surfaces agricoles utiles en agriculture bio ou dédiées à la culture de légumineuses. Selon les estimations de Carbone 4, seuls deux de ces paramètres devraient atteindre un niveau suffisant pour respecter l'objectif 2030 : la part modale de vélo (2,4 %) et la part de surfaces dédiées aux légumineuses (8 %).
En revanche, les autres paramètres devraient être bien inférieurs à ce qu'il faudrait pour réduire de 40 % les émissions à cet horizon. Ainsi, la croissance du trafic ferré devrait se limiter à 10% avec les mesures prévues par l'État, alors qu'elle devrait être de 20 % en 2030. La part de véhicules à faibles émissions devrait être de 3 % contre 15 % prévus. Le nombre de rénovations performantes devrait atteindre 2,7 millions en 2030, contre 4,5 millions attendus. La taille du cheptel bovin à viande devrait être de 13,7 millions de bêtes, contre 12, 6 millions prévus par la SNBC…
Ce qui permet à Carbone 4 de conclure que, sans mesures supplémentaires, la France n'atteindra pas l'objectif qu'elle s'est fixé pour 2030.