Le projet MARGO est une démarche de collecte des informations et de recoupement des savoirs : des chercheurs allemands, espagnols, français, norvégiens, américains, canadiens et australiens ont mis en commun leurs observations. Cette collaboration implique également le CEA et le Collège de France, le Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences de l'environnement et l'unité Environnements et paléoenvironnements océaniques du CNRS. MARGO est une version actualisée d'un premier travail de reconstitution des températures de l'océan, le projet CLIMAP (Climate Long Range Investigation, Mapping and Prediction), qui s'était déroulé à la fin des années 70, sur la base d'une seule approche de calcul de surface, alors que MARGO parvient à en combiner six. L'ensemble des 696 estimations produites par ces six techniques a été traité de manière à fournir une carte des températures estimées ainsi que des incertitudes associées.
Un immense travail de recoupement de données
Pour développer cette nouvelle cartographie des températures de surface de la mer il y a 21.000 ans, les scientifiques ont utilisé six indicateurs climatiques : l'analyse de quatre micro-fossiles planctoniques (foraminifères planctoniques, radiolaires, dinoflagellés et diatomées), ainsi que deux sortes de mesures géochimiques, résultant de l'étude de molécules organiques produites par les algues unicellulaires et des métaux alcalino-terreux (magnésium et calcium) contenus dans les coquilles du zooplancton. Ces mesures sont effectuées à partir de sédiment marin prélevé lors d'expéditions en mer par des carottages. Sous l'égide de l'Institut polaire, le Marion Dufresne est l'un des principaux navires de recherche dédiés à ces expéditions. Equipé de 650 m² de laboratoires, il possède un système de treuillage pour la manipulation d'engins et matériels lourds, un sondeur multifaisceaux et un carottier géant Calypso unique au monde. Hélas, ces expéditions sont coûteuses, donc rares, regrette Claire Waelbroeck, et il faut se battre des années pour mettre en place de nouvelles explorations .
L'océan s'avère un révélateur des climats passés. Il y a 21.000 ans, c'était l'époque du dernier maximum glaciaire. Cette époque est un extrême dans le cycle climatique : c'est le dernier cas de maximum glaciaire dans l'histoire de notre planète. Du coup, c'est pour nous un cas d'école pour savoir comment le climat se comporte lors d'une période très différente de la nôtre, explique la paléoclimatologue Claire Waelbroeck. En étudiant les carottes de sédiments marins, les chercheurs puisent des informations indispensables pour mieux comprendre notre système climatique et en prévoir l'évolution future. Il s'agit aussi d'affiner les performances des modèles climatiques utilisés par le GIEC. Pour y parvenir, les scientifiques confrontent les simulations numériques fournies par les modèles aux reconstructions de la température de surface de l'océan lors de périodes passées relativement stables, telle que celle du pic glaciaire d'il y a 21.000 ans.
Première découverte de MARGO, la couche de glace qui recouvrait les mers nordiques et le nord de l'océan Atlantique Nord lors du dernier maximum glaciaire, il y a 21.000 ans, ne se maintenait pas tout au long de l'année comme le supposait CLIMAP. Au contraire, elle fondait partiellement en été, fournissant ainsi la vapeur d'eau nécessaire à la croissance et au maintien des grandes calottes polaires en Europe. En outre, le projet MARGO souligne la présence, dans tous les bassins océaniques, d'importants écarts de températures d'est en ouest. Par exemple, MARGO révèle un refroidissement plus important le long des côtes européennes que le long des côtes ouest du bassin Nord-Atlantique. MARGO permettra donc d'affiner les modèles actuellement utilisés par le GIEC pour reconstituer et anticiper les évolutions de la circulation océanique. Grâce à cette collecte de données sans précédent, les mouvements du grand courant océanique qu'est le Gulf Stream devraient être plus prédictibles. Et, à travers la reconstitution des pulsations du thermostat planétaire, c'est tout le climat futur qui sera mieux anticipé.
Article publié le 14 février 2009