Dans quatre jugements du 30 mars 2013, le Tribunal administratif de Rennes annule plusieurs décisions des préfets des départements des Côtes-d'Armor, d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan et du Finistère.
Tous avaient refusé de faire droit à la demande des associations Eau et rivières de Bretagne et Bretagne Vivante "de modifier l'arrêté autorisant l'épandage à partir du 15 février pour les cultures de maïs" et de le compléter "par des mesures propres aux bassins versants "algues vertes"", qui permettraient de "prévenir et de réduire les fuites de nitrates vers les eaux".
Selon le Tribunal administratif de Rennes, ces décisions de refus doivent être annulées, les préfets ayant commis une erreur manifeste d'appréciation dans leurs arrêtés initiaux. Ceux-ci devront être modifiés afin de reculer la date d'épandage pour la culture de maïs au 31 mars, et complétés par "toute mesure de maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée" aux terres agricoles en cause, dans "un délai de trois mois".
Sur le fondement de la directive européenne relative aux nitrates (1) et de la directive cadre sur l'eau (DCE) (2) , la juridiction rappelle les différents avis intervenus dans le sens d'un renforcement de cette réglementation en Bretagne.
Mesures spécifiques pour des bassins à enjeux
"Compte tenu de la situation de la Bretagne et pour diminuer encore les risques de pollution par les nitrates, il pourrait être envisagé dans l'avenir de reculer encore certaines dates d'autorisation d'épandage à la fin de l'hiver", relevait l'autorité environnementale dans un avis sur le projet d'
D'après celle-ci, dans ces bassins à enjeux, la limitation des apports azotés doit constituer une première étape de réduction de la fertilisation. Pour ce faire, selon elle, "le lisier doit être épandu au plus près de l'implantation du maïs et de ses besoins en azote", ce qui permettrait de "limiter les risques de lessivage des premiers épandages".
Pourtant, dans leurs arrêtés complémentaires visant les bassins versants à algues vertes, les préfets ont retardé la date de début d'épandage au 15 mars 2013, et non au 31 mars. Or, pour les associations requérantes, "l'épandage des effluents d'élevage à partir du 15 février sur les terres devant être ensemencées en maïs, ne permet pas de prévenir efficacement les fuites de nitrates vers les eaux, ni de préserver effectivement la ressource en eau". En enjoignant aux préfets de reporter la date d'épandage, le tribunal va dans ce sens, considérant que "le recul de la date d'épandage est de nature à éviter le ruissellement des éléments apportés par l'épandage (…) afin de lutter dans les bassins versants contre la prolifération des algues vertes".
Des condamnations prévisibles
Par ailleurs, l'Etat vient d'être condamné par la Cour administrative d'appel de Nantes au remboursement des frais engagés par plusieurs communes bretonnes pour le ramassage et le traitement des algues vertes au cours de l'année 2010. Pour France Nature Environnement (FNE) et les associations bretonnes, "cette double condamnation doit servir de signal fort à l'heure de la refonte de la réglementation sur les nitrates en France".
Les carences de la France dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d'origine agricole avaient déjà conduit à des contentieux (3) . En octobre 2011, Paris recevait un avis motivé de la Commission européenne afin d'adopter des mesures plus fermes pour lutter contre la pollution de l'eau causée par les nitrates.
Vers la refonte réglementaire des plans nitrates
Malgré ces avertissements, la France est désormais sous la menace de pénalités financières par Bruxelles pour non-respect de la directive nitrates depuis la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne par la Commission. "Les associations bretonnes de protection de la nature ont depuis longtemps alerté sur l'urgence à mettre en œuvre un plan à la hauteur du problème", rappelle l'association FNE. "L'argent public investi dans des plans qui n'ont pas su traiter le problème à la source, l'argent à verser en raison des condamnations… Cela coûte cher au contribuable pour un résultat nul. Il est temps d'aller vers un modèle agricole nouveau, avec un élevage lié au sol et un cheptel adapté à ce que le sol et les eaux peuvent absorber", souligne Jean-Claude Bévillard, vice-président de FNE en charge des questions agricoles.
Le contexte actuel conduit donc la France vers la refonte de sa réglementation sur les nitrates. Les quatrièmes programmes d'actions départementaux devraient être remplacés le 1er juillet 2013 par un programme d'actions national complété par des programmes d'actions régionaux. Gilles Huet, délégué général d'Eaux et Rivières de Bretagne, espère "que la déclinaison régionale de ce programme d'actions permette bien de prévenir les fuites d'azote vers les eaux".
Pour Bernard Rousseau, en charge de la politique de l'eau à FNE, "le cinquième plan d'actions national nitrates qui se met en place doit être ambitieux, et l'Etat doit être ferme dans son application afin de défendre l'intérêt général, et non ménager les intérêts de l'agro business international". Celui-ci était d'ailleurs pointé du doigt dans un rapport ministériel.
Cependant, un projet de décret, en consultation jusqu'au 19 avril, envisage la prolongation des quatrièmes programmes d'actions départementaux. Les ministres de l'Agriculture et de l'Ecologie avaient annoncé le 1er mars un assouplissement en faveur de l'élevage des mesures du programme national d'actions.