Atteindre 100% d'électricité renouvelable en France en 2050 est possible, y compris dans des conditions météorologiques défavorables, estime l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Cette conclusion est connue depuis avril dernier, lorsque l'étude de l'Ademe avait largement fuité en réaction à l'annulation de sa présentation à l'occasion d'un colloque dédié aux énergies renouvelables. Ce jeudi 22 octobre, l'Ademe publie (enfin) la version finale (1) de ce travail prospectif. Les grandes lignes du rapport initial ne varient pas, mais l'introduction d'un critère de forte opposition à l'éolien terrestre et au solaire au sol modifie sensiblement l'impression globale. L'étude s'achève sur des arguments plaidant pour un mix à 80% renouvelable en 2050.
A noter que si l'étude publiée confirme les résultats de la version initiale obtenue par Actu-Environnement au printemps, l'angle a semble-t-il changé (voir encart). Par ailleurs, Bruno Léchevin insiste en introduction sur le fait qu'"il s'agit (…) d'une étude scientifique à caractère prospectif et exploratoire et non pas d'un scénario politique". Néanmoins, l'un des objectifs de l'étude est bien, selon le président de l'Ademe, de "[permettre] qu'une hypothèse jusqu'ici impensable pour la majorité des acteurs (un mix électrique jusqu'à 100% renouvelable, ndlr) devienne une hypothèse techniquement possible". Et parmi les critères de succès, l'acceptabilité sociale apparaît essentielle, tout comme les aspects techniques et économiques, deux enjeux mieux connus.
Une démarche recadrée ?
Officiellement, le report de la publication de l'étude se justifiait par un besoin d'approfondissement de certains points. Néanmoins, les modifications apportées semblent aller au-delà. Le changement du titre intervenu entre avril et aujourd'hui illustre ce point. Le titre "Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050", retenu au printemps devient "Un mix électrique 100% renouvelable ?". De plus, la synthèse ajoute pour sous-titre "Un travail d'exploration des limites du développement des énergies renouvelables dans le mix électrique métropolitain à un horizon 2050".
De même, initialement, "l'objectif premier de l'ADEME [était] de développer la connaissance sur les problématiques liées à un mix très fortement renouvelable". Dans sa version finale, elle a pour but de "mettre en lumière les freins" ainsi que les mesures à mettre en œuvre pour accompagner une politique de croissance massive des énergies renouvelables électriques.
Comme l'étude initiale, le rapport de l'Ademe souligne que "de fortes contraintes d'acceptabilité sociale sont compatibles avec un mix 100% renouvelable" et que "les contraintes d'acceptabilité liées au réseau ne sont pas un obstacle". La première version envisageait déjà une variante de son mix de production électrique 100% renouvelable qui tenait compte d'"une acceptabilité modérée". La version finale fait preuve de plus de pessimisme et propose un nouveau scénario "défavorable" qui cumule une "acceptabilité très contrainte" et peu de progrès technologiques. En l'occurrence, il s'agit de tenir compte d'une maîtrise de la demande modérée (basée sur le scénario "nouveau mix" de RTE) et une faible acceptabilité des renforcements réseau et de l'implantation de fermes solaires et éoliennes terrestres. Ce scénario défavorable est principalement détaillé pour un mix à 80% renouvelable en 2050.
Avec ce nouveau scénario, le gisement éolien terrestre maximal mobilisable et le gisement photovoltaïque au sol sont sensiblement réduits. Plus précisément, les gisements calculés avec de telles contraintes deviennent inférieurs au besoin de puissance installée pour répondre au scénario 80% renouvelable : le photovoltaïque au sol propose un potentiel de 20 gigawatts (GW), pour un besoin de 23 GW si l'on vise une répartition optimale des capacités de production entre les filières. L'éolien terrestre voit son potentiel réduit à 40 GW, pour un besoin de 67 GW. Bien sûr, d'autres moyens de production peuvent compenser les pertes de gisement liées à la faible acceptabilité. En l'occurrence, il s'agit de compenser une perte de production annuelle de l'ordre de 119 térawattheures (TWh), dont 103 TWh pour l'éolien terrestre et 16 TWh pour le photovoltaïque au sol. Selon l'étude, la production de l'éolien en mer serait alors accrue de 54 TWh, celle du photovoltaïque sur toiture de 33 TWh et celle des énergies marines de 20 TWh. Resteraient donc quelque 12 TWh à compenser avec de multiples sources plus marginales.
80% de renouvelable plutôt que 100% ?
Autre constat, "pour le cas « défavorable » il a été observé, comme dans la variante avec coûts élevés 100% renouvelable, que seuls les sites avec des conditions météorologiques favorables sont sélectionnés (les coûts du photovoltaïque et des filières marines étant assez proches), ce qui aboutit à une nécessité de développer davantage les capacités d'échanges entre les régions". En revanche, la production devient plus localisée lorsque l'acceptabilité est modérée, et non plus très contrainte. En effet, les moyens thermiques (en particulier gaz) pouvant être installés en réponse à une demande locale, les besoins de capacités d'échange sont moindres. Un scénario 80% avec une acceptabilité modérée induit des besoins de capacités d'échange en baisse de 4% par rapport au même scénario sans contrainte.
Finalement, il ressort de l'étude que l'introduction d'une forte contrainte d'acceptabilité change assez largement l'étude initiale. Alors que la première version pouvait apparaître comme un plaidoyer pour une transition vers un mix électrique 100% renouvelable, l'introduction d'un critère de forte opposition des Français à l'encontre de l'éolien terrestre et du photovoltaïque au sol plaide clairement en faveur d'un mix électrique 80% renouvelable. Les moyens thermiques conservés offrent plus de souplesse et, pour un même niveau de contrainte d'acceptabilité, le surcoût est donc plus marqué pour un scénario 100% renouvelable que pour un scénario 80% renouvelable. "La contrainte d'acceptabilité augmente le coût de 3 euros par mégawattheure (MWh) par rapport au cas 80% sans contraintes (et de 8 euros par MWh dans le cas 100% renouvelable)", indique l'Ademe, ajoutant que "le surcoût de substitution de l' « énergie non acceptée » est également inférieur dans le cas 80% renouvelable".
Et l'Ademe de conclure son étude avec ce constat : comparativement à un mix 100% renouvelable, "un mix 80% renouvelable offre plus de résilience face à des contraintes économiques et sociétales". La version initiale s'achevait sur une note plus ambitieuse et favorable à un mix électrique 100% renouvelable. Elle notait que si le coût le plus bas correspond au scénario 80%, "on peut toutefois retenir, qu'à l'horizon 2050 (…) le coût de l'électricité issue d'un mix 100% renouvelable serait du même ordre de grandeur que celle d'un mix 40% renouvelable".