Alors que l'Assemblée nationale s'apprête à discuter du projet de loi ouvrant la voie à des dérogations sur l'utilisation des pesticides néonicotinoïdes, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et l'Institut technique de la betterave (ITB) ont présenté, le 22 septembre, le plan de recherche visant à trouver des solutions contre la jaunisse pour la filière des betteraves à sucre. « L'objectif n'est pas de trouver une solution équivalente aux néonicotinoïdes en trois ans. Il s'agit, en mobilisant différents leviers, de proposer des solutions qui permettront de réduire les risques de manière sensible », a expliqué Philippe Mauguin, le PDG de l'Inrae.Pas de dérogation mais des indemnisations ?
Les députés du groupe Écologie Démocratie Solidarité ont annoncé qu'ils voteront contre le projet de loi permettant des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes. Ils s'opposent à un retour des néonicotinoïdes dans les champs, alors que ces substances ont des impacts avérés sur les abeilles, les insectes et les oiseaux des champs. « Le Gouvernement veut faire payer à la biodiversité le manque d'action politique depuis quatre ans », dénonce Matthieu Orphelin.
Plutôt que des dérogations, ils proposent de mettre en place des indemnisations pour les agriculteurs qui subiraient des pertes importantes, le temps de la mise en place d'alternatives. Ils demandent la création d'un mécanisme d'indemnisation basé sur le renforcement du Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Il s'agirait de doter ce fond de 100 M€ sur trois ans et d'indemniser les agriculteurs ayant des pertes supérieures à 30 %.
Par ailleurs, ils proposent la création d'un dispositif d'assurance récolte publique, auquel les agriculteurs cotiseraient « à un coût inférieur à celui des traitements chimiques », indique Delphine Batho. « Il ne faut pas chercher la sécurité dans la chimie », a ajouté l'ancienne ministre de l'Écologie, soulignant que l'année 2020 était exceptionnelle en termes d'attaques et qu'il était absurde de généraliser le recours aux néonicotinoïdes en prévention pour les trois prochaines années.
Pour rappel, en 2020, les cultures de betteraves à sucre ont été infestées par des pucerons verts, porteurs de la jaunisse. Les parcelles les plus touchées pourraient afficher des pertes de rendement de 40 %. Au total, la filière prévoit des pertes de l'ordre de 15 %, contre 0,5 à 0,8 % l'année précédente. Pointant l'absence de solutions opérationnelles contre ces pucerons, elle a donc demandé une dérogation pour utiliser, au cours des trois prochaines saisons culturales, des semences enrobées de néonicotinoïdes. Un appel entendu par le Gouvernement qui a demandé, en contrepartie, à la filière de se mobiliser autour d'un plan pour identifier les solutions alternatives d'ici 2024, date de fin de la dérogation envisagée. Ce plan bénéficiera d'un financement public de 7 millions d'euros sur trois ans.
Pas d'alternative chimique ou non chimique opérationnelle
Depuis deux ans, la filière des betteraves doit se passer des néonicotinoïdes. Si 2019 n'a pas connu de fortes attaques de pucerons, les températures élevées du printemps 2020 ont provoqué de fortes infestations. Les alternatives chimiques à l'imidaclopride, fabriquées à base de lambda-cyhalothrine et de pirimicarbe, se sont révélées inefficaces : « Les pucerons sont devenus résistants », explique Vincent Laudinat, directeur général de l'ITB.
« D'autres produits commerciaux, plus efficaces et surtout plus sélectifs des pucerons sont aujourd'hui utilisés, et notamment le Teppeki (flonicamide) et le Movento (spirotétramate) sur dérogation. Néanmoins, l'utilisation de ces deux substances actives en 2020 n'a pas permis de contrôler suffisamment les populations de pucerons sur l'ensemble du territoire, et elles ne constituent pas une solution durable », indiquent l'Inrae et l'ITB.
D'où une demande de dérogation pour les prochaines saisons culturales, le temps de trouver et de diffuser des solutions alternatives auprès des agriculteurs. « Il y a des voies prometteuses mais, aujourd'hui, il n'y a pas de voie opérationnelle à grande échelle pour une année comme 2020 », souligne Philippe Mauguin.
Agronomie, bioagresseurs et variétés résistantes
Trois pistes sont envisagées par l'Inrae et l'ITB pour lutter contre les pucerons : les variétés résistantes, la régulation biologique et l'agronomie.
Les catalogues de variétés vont être étudiés pour trouver des variétés présentant des caractères de résistance intéressants. Si c'est le cas, l'information pourra être diffusée massivement pour une utilisation à grande échelle d'ici 2023, estime Philippe Mauguin. En parallèle, des recherches de croisement entre variétés sauvages et cultivées sont menées, avec des résultats prometteurs. Ces variétés hybrides pourraient être mises sur le marché, au plus tôt, en 2023.
La filière mise également sur le biocontrôle, et sur une espèce en particulier : l'hyménoptère parasitoïde. Cette micro guêpe pond des œufs à l'intérieur de ses proies. La larve, en se nourrissant des organes de son hôte, entraîne sa mort. Cela permettrait de réduire les populations de pucerons. En parallèle, les recherches porteront sur des plantes compagnes qui émettent des substances répulsives.
Enfin, l'agronomie pourrait avoir un rôle à jouer dans la protection des abeilles et des pollinisateurs, particulièrement touchés par les traitements à base de néonicotinoïdes. L'idée est d'insérer, à proximité des cultures de betteraves, des bandes de plantes mellifères afin d'y attirer les pollinisateurs et de les détourner des parcelles de betteraves. « Nous avons un travail à mener sur le calibrage de ces bandes. Leur superficie est importante, mais leur répartition au sein des cultures l'est aussi », explique Philippe Mauguin de l'Inrae.
Pour tester ces solutions, 500 à 1 000 hectares de cultures betteravières seront mises à disposition de la recherche dans différentes régions.