Ce sont trois affaires ayant pour objet les changements climatiques, sur les douze pendantes devant elle, que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait à juger ce mardi 9 avril. La juridiction internationale fait grandement progresser la justice climatique en donnant raison aux requérantes dans l'affaire dite « des grands-mères suisses », tandis qu'elle déclare irrecevables la requête de six jeunes Portugais dirigée contre 33 États, de même que celle de Damien Carême contre l'État français. La première en raison du non-épuisement des voies de recours internes exigé par la Convention européenne des droits de l'homme. La seconde du fait que le requérant n'a pas la qualité de victime, n'ayant que des liens limités avec la commune de Grande-Synthe, et ce, bien qu'il en ait été le maire.
Dans l'affaire des grands-mères suisses, le contentieux avait été lancé par quatre femmes âgées et l'association Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, qui reprochaient à l'État suisse de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour atténuer les conséquences du réchauffement climatique en dépit des obligations que lui impose la Convention européenne des droits de l'homme. L'audience s'était tenue le même jour que l'affaire Damien Carême, le 27 septembre 2023.
Violation du droit au respect de la vie privée et familiale
La CEDH juge qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention qui affirme le droit relatif au respect de la vie privée et familiale. « L'article 8 de la Convention englobe un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l'État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie », pose la décision.
Pour cela, les États doivent prendre des mesures de réduction des GES afin « d'atteindre la neutralité nette, en principe au cours des trois prochaines décennies (…). À cet égard, il faut que les États mettent en place des objectifs et calendriers pertinents, lesquels doivent faire partie intégrante du cadre réglementaire interne et servir d'assise aux mesures d'atténuation », affirme la Cour.
Violation du droit à un procès équitable
Si cette dernière déclare les griefs des quatre personnes physiques irrecevables car elles ne remplissent pas la qualité de victime, elle accueille en revanche l'action de l'association requérante et conclut que la Confédération suisse a manqué aux obligations que la Convention lui imposait en matière d'action climatique. « Le processus de mise en place du cadre réglementaire interne pertinent a comporté de graves lacunes, notamment un manquement des autorités suisses à quantifier, au moyen d'un budget carbone ou d'une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de GES », juge la Cour, qui relève aussi que la Suisse n'a pas atteint ses objectifs passés de réduction des émissions de GES.
La CEDH juge également qu'il y a eu une violation par la Suisse de l'article 6, qui impose un droit à un procès équitable. Elle juge que « le rejet de l'action intentée par l'association requérante, d'abord par une autorité administrative (…), puis par des tribunaux internes, à deux niveaux de juridiction distincts, s'analyse en une atteinte au droit d'accès de l'intéressée à un tribunal ». Et rappelle « le rôle clé que les juridictions nationales jouent dans les litiges relatifs au changement climatique ». « Eu égard aux principes de responsabilité partagée et de subsidiarité, c'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux juridictions, qu'il incombe de veiller au respect des obligations découlant de la Convention », affirme la juridiction.
« Décision historique à la CEDH », réagit Corinne Lepage sur X. « Même si les règles de recevabilité restent sévères, la carence climat des États constitue une violation des droits humains et du droit à la santé », ajoute l'avocate de Damien Carême.
Pour l'avocat et professeur de droit Arnaud Gossement, avec cette décision, « le contentieux climatique va s'enrichir d'une nouvelle question : celle du respect de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ». « Mais le niveau d'exigence et de rigueur des requêtes devra être très élevé. Et le juge national devra d'abord être saisi », observe-t-il au regard de cette nouvelle jurisprudence.