"Les années précédentes, on constatait une amélioration continue des études d'impact des projets qui nous étaient soumis. En 2018, nous avons rendu plus souvent des avis plus critiques", alerte Philippe Ledenvic. Le président de l'Autorité environnementale (Ae) nationale présentait, mardi 26 mars, le rapport annuel (1) de cette autorité chargée de rendre un avis public sur la qualité des évaluations et la bonne prise en compte de l'environnement par les projets, plans ou programmes.
"Nous ne sommes pas entendus"
Sur l'année 2018, l'Ae a rendu 107 avis. Parmi ceux-ci, 82 ont porté sur des projets, certains emblématiques comme le forage pétrolier de Total en Guyane, abandonné depuis, mais aussi de très nombreux projets routiers et autoroutiers. La multiplication de ces derniers s'explique par le plan de relance autoroutier mais aussi par de vieux projets des années 1990 qui ont été relancés comme le grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg ou l'autoroute du Chablais en Haute-Savoie.
Les missions régionales d'autorité environnementale (MRAe), qui présentaient en même temps la synthèse de leur activité (2) , ont rendu 1.765 avis en 2018, dont 1.080 sur les projets. Une compétence nouvelle concernant ces derniers suite à la décision du Conseil d'Etat, de décembre 2017, déniant au préfet de région la compétence pour être autorité environnementale des projets. Parmi les projets examinés par les MRAe : 432 aménagements, 320 projets énergétiques et 279 installations classées (ICPE).
L'Ae a régulièrement relevé une prise en compte très insuffisante des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution atmosphérique dans la quasi-totalité des dossiers étudiés. Et l'année 2018 n'a pas marqué d'amélioration. Au contraire. Le manque est encore plus frappant pour les infrastructures routières. "Nous ne sommes pas entendus sur ce sujet", déplore Philippe Ledenvic. "A titre d'exemple, illustre-t-il, les mesures de réduction de la vitesse ne sont jamais analysées, alors qu'il s'agit d'une mesure qui a toute sa place dans la séquence éviter-réduire-compenser". Dans le domaine du bruit, ajoute l'Ae, "les mesures de protection restent trop souvent définies a minima, selon une interprétation erronée de la réglementation". Tout comme la prise en compte de la biodiversité reste "insuffisamment ambitieuse pour ralentir son érosion".
Faible appropriation environnementale
Pour ce qui concerne les plans et programmes, l'Ae nationale a rendu 25 avis parmi lesquels des plans d'actions régionaux "nitrates", des plans relatifs à la forêt, au bois ou à la biomasse, ou encore le plan de protection de l'atmosphère de l'Arve. Quant aux MRAe, elles ont rendu 685 avis sur des plans et programmes, dont une très grande majorité de documents d'urbanisme, 21 plans climat-air-énergie territorial et 17 schémas d'assainissement.
"Les plans présentent souvent des objectifs ambitieux mais peu de mesures pour les atteindre", constate l'Ae. "Et les plans régionaux relevant du développement durable ne se révèlent pas forcément les plus vertueux", tacle Philippe Ledenvic. Ainsi, "aucun des plans d'actions nitrates n'apporte la démonstration qu'ils permettent des améliorations", ajoute le polytechnicien.
L'Ae nationale et les MRAe constatent conjointement "une faible appropriation des démarches d'évaluation environnementale". Ainsi, pour les documents d'urbanisme, l'évaluation environnementale est souvent réalisée en fin de parcours et cherche à justifier les choix qui ont été faits. Les autorités environnementales constatent l'absence d'analyse de solutions de substitution raisonnables. "Un des motifs retenus par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour annuler le plan local d'urbanisme de la commune de Gonesse", pointe Philippe Ledenvic, estimant qu'il pourrait trouver à s'appliquer à d'autres documents d'urbanisme.
L'évaluation environnementale des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) se révèle par ailleurs très complexe. Ce qui rend aussi l'analyse de cette évaluation complexe pour les MRAe. "A ce jour, ces avis font le plus souvent le constat que la première génération de PLUi est encore le résultat de la somme de PLU, sans qu'il s'en dégage une stratégie globale et, par conséquent, sans en tirer un bénéfice pour la consommation d'espaces, les déplacements et leurs impacts environnementaux induits", rapporte la synthèse. La question de l'artificialisation des terres continue à être un vrai sujet, confirme Fabienne Allag-Dhuisme, présidente des MRAe Corse et Pays-de-la-Loire.
Mais comment expliquer la dégradation de la qualité des dossiers ? Outre l'engagement trop tardif des évaluations, Philippe Ledenvic pointe les problèmes de compétence de certains maîtres d'ouvrage et bureaux d'études, mais aussi les projets pour lesquels le calendrier et le contexte politique ne laissent pas de marge de manœuvre au maître d 'ouvrage pour faire une évaluation approfondie. "Le délai laissé entre l'avis de l'autorité environnementale et le début de l'enquête publique est à cet égard un bon indice", décrypte le président de l'Ae.