Un dialogue serein sur la question de l'eau pourra-t-il se nouer sur le territoire du bassin de la Sèvre niortaise-Mignon ? C'est en tout cas l'objectif de la mission d'évaluation des engagements pris par les exploitants agricoles, dans le cadre du protocole d'accord de décembre 2018 pour une agriculture durable. Le comité de bassin Loire-Bretagne a en effet mandaté en novembre 2022 le bureau de conseil en environnement Ecodécision pour dresser un état des lieux à la suite des manifestations des 29 et 30 octobre 2022 contre le projet de retenue de substitution de Sainte-Soline.
C'est que la question de l'eau est particulièrement sensible dans le bassin, tant d'un point de vue qualitatif que quantitatif. « En période de basses eaux, les prélèvements d'eau dépassent nettement les disponibilités de la ressource, entrainant des assecs et, par la suite, des restrictions pour les usagers, une dégradation des milieux aquatiques et une altération écologique des écosystèmes, note dans son rapport le bureau de conseil. Le bassin versant du Marais poitevin est très exposé aux pollutions, plus particulièrement aux pollutions diffuses d'origine agricole. » Ainsi à l'échelle des bassins de la Sèvre niortaise et du Mignon, seuls 9 % des cours d'eau sont évalués en bon état écologique. Par ailleurs, le Marais poitevin est classé en zone de répartition des eaux depuis 1994.
Pour tenter de faire face à cette situation et concilier les positions des acteurs du bassin concernant la gestion de l'eau – notamment par rapport aux projets de construction de retenues - , un protocole d'accord pour une agriculture durable avait été signé en décembre 2018, puis un contrat territorial de gestion quantitative (CTGQ) afin de contribuer à sa mise en œuvre. Cette démarche de compromis n'a toutefois pas joué son rôle, selon certains acteurs. Devant des prévisions d'évolution des pratiques considérées comme trop lentes ou pas assez ambitieuses, l'association Deux-Sèvres Nature Environnement a ainsi choisi de sortir des instances de suivi du protocole d'accord.
Revoir l'ambition des engagements
Dans son rapport, Ecodécision constate également un niveau d'engagements individuels qui n'est pas à la hauteur des enjeux. « Les actions les plus souscrites demandent peu d'efforts supplémentaires (mise en place de corridors écologiques par exemple) et portent rarement sur la réduction de l'usage des produits phytosanitaires, réduction indispensable pour la protection de la ressource en eau et la biodiversité », note-t-il. Ce dernier propose néanmoins une piste d'explication à travers le règlement intérieur de l'organisme unique de gestion collective (OUGC) : ce dernier conditionne en effet l'accès à l'eau au respect des engagements. Si les objectifs ne sont pas tenus, les volumes sont réduits progressivement. En prenant toutefois en compte le délai de mise en œuvre à compter de la mise en service de la retenue concernée. Ceci éclairerait le fait que « certains agriculteurs aient fait le choix de la prudence et n'aient pas affiché des engagements aussi ambitieux que les évolutions qu'ils pourraient envisager », avance-t-il.Les retenues prévues sur le territoire du contrat
La construction de 16 retenues est envisagée sur le territoire du contrat territorial de gestion quantitative pour une capacité totale de 6,7 millions de mètres cubes. Une première tranche de travaux prévoit 6 ouvrages pour 2,1 millions de mètres cubes. Aujourd'hui, une première retenue est en service (240 000 m3) et une autre devrait l'être en 2024 (Sainte-Soline, 628 000 m3). Une troisième, à Priaires (160 000 m3), est en construction depuis l'été 2023.
Concernant les engagements collectifs, comme la réduction des indices de fréquence de traitement, l'établissement d'un schéma directeur de la biodiversité ou la mise en œuvre d'un observatoire des pratiques agricoles et des actions en faveur de la biodiversité du retard est constaté. « Pour plusieurs engagements, un retard est lié au faible avancement des travaux de retenues (engagements collectifs liés aux engagements individuels, cartes du schéma de biodiversité), indique le bureau de conseil. Pour d'autres, la mise en place des outils s'est avérée plus complexe et plus longue que prévu (observatoire des pratiques agricoles et des actions en faveur de la biodiversité, coordination des animations, bilan technique). »
Une définition plus précise des objectifs à conduire
Parmi les autres difficultés identifiées par la mission figurent la définition d'un référentiel d'évaluation de l'atteinte des objectifs, ou de l'avancement des mesures, mais également le pilotage de la mise en œuvre des actions. « Le calendrier de certaines obligations (et donc des objectifs correspondants) est dépendant de celui de la réalisation des retenues, qui s'avère non maîtrisable pour le moment, souligne le bureau de conseil. Cette dépendance n'est pas explicitement affichée dans le protocole, mais elle répond à la logique adoptée par les acteurs lors de l'élaboration du protocole et est formalisée par les dispositions du règlement intérieur de l'OUGC. » La mission recommande de définir plus précisément les objectifs en détaillant les ambitions, les moyens et les échéances et de distinguer ceux indépendant du niveau de réalisation des retenues de ceux à adapter au nombre d'ouvrages en service ou en chantier.
Le cabinet de conseil préconise de renforcer la coopération entre les différents acteurs, comme les organisations professionnelles agricoles (OPA), les collectivités organisatrices de services de production d'eau potable, ou encore de cellules d'animation de contrats comme celle du programme Re'Sources (pour la protection de la qualité de l'eau).
La gouvernance du protocole ainsi que du CTGQ serait également à revoir. Elle est aujourd'hui assurée par une commission d'évaluation et de suivi (CES) et un comité scientifique et technique (CST) présidés par la préfecture. Le cabinet de conseil regrette que les techniciens porteurs d'animations comme Re'Sources ne soient pas membres du conseil scientifique et technique. « Le CST est composé en grande majorité de techniciens du monde agricole (chambre d'agriculture et OPA), peu de scientifiques étant présents, a souligné Ecodécision. De plus, de nombreuses démissions (pour des raisons personnelles ou du fait du positionnement de certaines structures) ont fait varier [sa] composition. Il n'est pas certain que [celle-ci] soit adaptée à un rôle d'avis d'expert. »
Le cabinet de conseil appelle toutefois à ne pas « laisser tomber », soulignant que cette phase a permis la mise en place d'outils et qu'il est nécessaire de poursuivre les actions engagées en tenant compte des nouveaux éléments de connaissance, dont l'étude hydrologie, milieux, usages, climat (HMUC).
Un climat de confiance à instaurer
Pour certains toutefois, un climat de confiance est à restaurer. « Il s'agit que d'un simple protocole d'accord, juridiquement non contraignant, souligne Marie Bomare, responsable de la cellule juridique de Nature Environnement 17. Les conclusions n'ont donc rien d'étonnant et nous avions dénoncé ce point dès 2018. Sans contrainte, cela ne fonctionne jamais. »
D'autres redoutent la lassitude des acteurs agricoles. « Nous pouvons craindre, si nous reprenons les discussions à zéro, de devoir trouver de nouveaux interlocuteurs et de repartir sur des procédures très longues », note François-Marie Pellerin, vice-président de la coordination pour la défense du Marais poitevin. De son côté, la coopérative Coop 79 semble accueillir de façon favorable le rapport.
Dans un post Linkedin, le 18 décembre, Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne, a, quant à lui, estimé que « cette étude peut nous permettre, je crois, de retrouver le chemin du dialogue indispensable pour sortir de la crise (…). Des propositions concrètes d'amélioration sont énoncées. Si chacun fait un pas, un chemin peut se dessiner. Ce chemin appartient aux acteurs locaux ».