Si le solaire bénéficie d'une image positive chez la plupart des Français, certains gros projets photovoltaïques au sol n'échappent pas à la polémique. À l'instar du projet Horizeo, en Gironde, qui prévoit de couvrir 2 000 hectares pour une puissance de production d'un gigawatt, et de déboiser 1 000 hectares. Ou encore du projet Solarzac, prévu sur un terrain de chasse privé dans le Larzac. Bien que revu à la baisse (de 400 à 200 hectares), une concertation tout au long du processus et l'intégration d'une coactivité agricole, le projet suscite des inquiétudes.
La France peut-elle se passer de ces gigaprojets pour atteindre ses objectifs de diversification du mix énergétique ? La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit une fourchette de 35 à 44 gigawatts de photovoltaïque installés en 2028, alors qu'à peine la moitié (15,2 GW) l'est mi-2022. Pour y parvenir, le rythme d'installation doit être doublé, passant de 2 GW raccordés en 2021 à 4 GW par an. Ce qui correspondrait à une surface installée comprise entre 30 000 et 40 000 hectares au sol et entre 15 000 et 20 000 hectares sur toitures, estime la PPE.
Si on regarde à plus long terme, 2050, ce sont entre 120 et 150 GW de solaire qui sont visés. « Soit plus de 100 GW en trente ans, souligne Daniel Bour, président du syndicat des professionnels du solaire Enerplan. Pour atteindre cet objectif, il faudra tout développer : centrales au sol, ombrières, bâtiments… La question est : qu'est-il raisonnable de faire ? Selon nous, il faut ajouter 70 GW de solaire au sol et 30 GW ailleurs. Cela représente 60 000 à 80 000 hectares de projets au sol. »
Une loi pour mobiliser les surfaces artificialisées
Le projet de loi relatif à l'accélération des énergies renouvelables tente de résoudre l'équation, en libérant un maximum de surfaces artificialisées pour développer du solaire. Le gouvernement a sorti sa calculatrice. En libérant les terrains proches des 12 000 kilomètres d'autoroutes, le gisement potentiel est estimé entre 1,8 et 2,4 GW. « Un potentiel complémentaire, non quantifié, pourra également être mobilisé le long des routes nationales », précise l'étude d'impact du projet de loi, tablant sur un gisement exploitable total de 2,5 GW. Le texte prévoit donc d'autoriser l'installation de panneaux solaires, jusque-là interdite, à moins de 100 mètres de part et d'autre des grands axes routiers.
« Ce gisement représente plusieurs milliers d'hectares, mais tout n'est pas exploitable, certains terrains sont en pente par exemple », souligne le président d'Enerplan. Ces bandes tampons constituent également des zones refuges pour la faune et la flore. « Les délaissés d'autoroutes sont souvent des corridors écologiques. Il peut y avoir des espèces protégées », explique Nicolas Richard, secrétaire national de France nature environnement (FNE). Le gisement finalement exploitable devrait donc être en deçà des projections.
Le projet de loi cible ensuite les parkings de grande taille. Selon les estimations, les parkings de plus de 10 000 m2 couvrent 3 000 à 5 000 hectares, les parkings de plus de 2 500 m2 entre 9 000 et 15 000 hectares. « Équiper la moitié de cette surface en ombrières photovoltaïques représenterait une puissance installée comprise entre 6,75 et 11,25 GW », souligne l'étude d'impact. Le texte prévoit donc une obligation d'équipement sur au moins la moitié de la surface des parkings existants de plus de 2 500 m2.
S'ajoutent à ces surfaces les terrains en friche. Une étude, réalisée par l'Agence de la transition énergétique (Ademe), a permis d'identifier 800 sites potentiels représentant un gisement d'environ 8 GW. Mais ces friches urbaines ou industrielles représentent souvent des installations de petite capacité. Un arrêté tarifaire spécifique est donc annoncé pour accélérer les projets inférieurs à 1 MW.
L'agrivoltaïsme pour conjuguer agriculture et production d'énergie
Finalement, additionnés, ces gisements ne suffiront pas face aux ambitions fixées. Il faudra nécessairement développer les projets au sol sur des terres naturelles ou agricoles, en les encadrant, estime Daniel Bour. « On considère que 30 000 hectares sont déjà artificialisés ou en friche. Il reste donc 50 000 hectares à trouver, en prenant en compte la préservation de la biodiversité et des activités agricoles. »
« La promesse implicite de l'agrivoltaïsme, c'est 1 + 1 = 3. On fait à la fois de la production énergétique et agricole, en garantissant que le revenu de la surface n'est pas diminué, voire est amélioré », souligne Nicolas Richard, qui s'interroge : « Si on se rend compte a posteriori que cette promesse n'est pas tenue, les terres agricoles sont déclassées ? »
Hiérarchiser l'usage des terres
Côté agriculteurs, le concept est loin de séduire. « L'agrivoltaisme et les centrales photovoltaiques sur les terres agricoles ont un impact majeur sur les prix et la disponibilité́ du foncier », pointe du doigt la Confédération paysanne. Les Jeunes Agriculteurs (JA) ont carrément demandé un moratoire sur ces projets : « La stricte priorité doit demeurer l'installation d'agriculteurs et non de panneaux solaires. Le risque porte sur un phénomène de spéculation et de détournement de la vocation nourricière des fermes dans un contexte démographique inédit. » Sans s'y opposer totalement, la FNSEA et les chambres d'agriculture plaident pour un encadrement strict de la pratique. Dans les coulisses, le sujet serait loin de faire l'unanimité.
Pour Nicolas Richard, il faut clairement poser la question : « Est-il plus pertinent de faire de l'agrivoltaïsme extensif qui occupera le double de surfaces agricoles ou de développer des centrales au sol sur des surfaces agricoles peu productives, définies collectivement ? » Mais, ajoute-t-il, cela ne peut être envisagé qu'en dernier recours. « Il faut d'abord déployer le solaire sur les zones artificialisées, le bâti, les zones commerciales. Puis sur les espaces très dégradés d'un point de vue écologique et après, et seulement après, envisager l'agrivoltaïsme ou le photovoltaïque sur terres agricoles ». FNE demande la création d'un observatoire des énergies renouvelables, afin de quantifier où et sur quels types de terrains les projets ont été développés jusque-là. Fait rare : les Jeunes Agriculteurs formulent la même demande, estimant que le photovoltaïque sur terres agricoles ne pourra pas être développé tant que « les terres [déjà artificialisées] et les toitures ne seront pas couvertes dans leur plus grande partie ».
Dérisquer du foncier territoire par territoire
La planification, certains territoires s'y essaient déjà. Le parc naturel régional de la Sainte-Baume (Paca) a répondu à un appel à manifestation d'intérêt (AMI) qu'a lancé la Région Sud, pour dérisquer du foncier pour le photovoltaïque. Autrement dit, identifier les surfaces sans contrainte. « Sur le territoire du parc, il y a déjà douze centrales au sol qui couvrent 180 hectares, majoritairement sur des espaces forestiers défrichés », explique la chargée de mission, Stéphanie Singh. Lors de l'élaboration de la charte du parc, créé fin 2017, les élus ont donc défini de larges zones excluant les énergies renouvelables. Il s'agit désormais d'identifier des zones propices à leur accueil.
L'étude, qui porte sur 14 communes du parc, cible les zones artificialisées (carrières, zone d'activité, bâtiments, parkings...). Après cette phase d'inventaire, une rencontre est organisée avec les potentiels maîtres d'ouvrage. « L'objectif est de retenir 50 sites potentiels pour lesquels un bureau d'études va réaliser les études techniques (matériels, possibilités de raccordement au réseau, analyse économique, autoconsommation…). Fin 2023, ce travail devrait aboutir à un catalogue de projets. » Dont des projets au sol ? « Les centrales au sol ne seront retenues que dans les zones très artificialisées. C'est ce qui nous est reproché : le photovoltaïque en toitures est moins rentable », explique Stéphanie Singh.
Voilà peut-être la principale inconnue de l'équation : quel prix (commun) est-on prêt à payer pour mener à bien la transition énergétique ?