Directeur exécutif de Green Cross France Territoire
Actu-Environnement : Green Cross France Territoire participe depuis lundi au Forum mondial de l'eau. Quelles sont les priorités sur cette problématique ?
NB : Trois points nous semblent clé : la nécessité d'avoir une vision intégrée du cycle de l'eau, l'accès de tous à la ressource et enfin la prévention des conflits internationaux. Concernant le premier point, alors qu'il n'y a qu'un seul cycle de l'eau, celui-ci est pris en compte de manière fragmentée et cloisonnée. Les politiques de l'eau doivent converger, des cours d'eau intérieurs aux zones littorales. Une logique systémique et transverse doit être adoptée pour pouvoir travailler sur l'accès aux ressources et sur les économies d'eau.
Car la deuxième priorité est bien l'accès de tous à la ressource. On connaît bien le problème de l'accès à l'eau dans certains pays du Sud. Au Nord, cette question est également présente : il y a peu de hiérarchie dans les usages de l'eau. En France, moins de 20 % des prélèvements d'eau sont à des fins domestiques (alimentation, hygiène, santé), contre 30 % pour l'agriculture et 50 % pour l'industrie. Une grande partie des usages industriels de l'eau (70 à 80 %) servent à refroidir les centrales nucléaires. En plein débat sur la poursuite ou non du nucléaire, on peut donc se poser une question : est-il convenable de prélever un tiers de l'eau en France pour refroidir des centrales ?
L'eau est un sujet sur lequel la France et les acteurs français se sont longtemps comportés avec arrogance, en exportant un "modèle de l'eau". Pourtant, il y a beaucoup à faire en France pour limiter les pressions sur la ressource, réduire les pollutions, améliorer la qualité et l'accès à l'eau… N'oublions pas que la France est traduite devant la cour de justice de l'Union européenne pour la pollution des eaux aux nitrates. Nous sommes très attentifs également à la situation de la vallée du Rhône où le débit du fleuve doit être préservé. Les centrales nucléaires exercent une forte pression sur le Rhône, tout comme l'agriculture. Et demain, l'exploitation des gaz de schiste constituera peut-être une pression supplémentaire…
AE : Vous travaillez également sur les coopérations transfrontalières sur l'eau…
NB : Un très grand nombre de conflits internationaux est lié à l'eau, entre Israël et la Palestine, en Afghanistan, en Irak … Le Kurdistan, par exemple, qui a fait l'objet d'une déforestation massive sous l'ère Saddam Hussein, a vu ses terres fertiles se transformer en zones arides. La tentation est grande pour le pays de faire des barrages pour irriguer les terres, mais en aval, le Tigre et l'Euphrate arrosent l'Irak, la Syrie, l'Iran, la Turquie…
Dans la vallée du Nil, les tensions risquent également de s'exacerber. L'Ethiopie et le Sud Soudan développent des projets de grands barrages, alors qu'en aval, l'Egypte continue à développer une agriculture irriguée pour l'exportation. Alors que ça n'était jamais arrivé, le Nil connaît aujourd'hui des problèmes de débits et de régularité.
Il faut que l'époque de ces grands barrages soit révolue, il faut sortir d'une logique de la demande à une logique de collaboration et ne plus tomber dans la facilité de ces mégaprojets. En Chine, le barrage des Trois gorges a entrainé une réduction du débit du fleuve de 70 %. Les Chinois prennent aujourd'hui conscience des impacts de ce barrage sur les zones humides, qui deviennent des zones arides. Au Brésil, nous avons la faiblesse de croire que les projets menés actuellement seront les derniers.
AE : Comment prévenir ces conflits ? Par une gouvernance internationale ?
NB : Il faut développer les bons outils diplomatiques. En mettant d'abord en place les principes, compétences et législations appropriés. Nous soutenons la Convention des Nations Unies sur les cours d'eau internationaux, adoptée en 1997, qui constitue un bon point de départ. Pourtant, elle n'a toujours pas été ratifiée par les 34 Etats nécessaires à son entrée en vigueur. Onze Etats européens ne l'ont pas ratifiée. Il s'agit d'un manque d'éducation à cette problématique. Si le climat a fait l'objet d'une véritable mobilisation, l'enjeu de l'eau est peu considéré pour l'instant. D'ailleurs, les délégations internationales ont été très étonnées par l'absence du président Sarkozy à Marseille…
Nous soutenons la création d'une organisation internationale transverse plutôt que la création d'une organisation dédiée à l'eau. Nous saluons l'initiative d'une Organisation mondiale de l'environnement qui pourrait être lancée à Rio+20, liant la compétence eau, avec celles de l'énergie, de l'agriculture, de l'alimentation. La conférence de Rio constitue l'enjeu essentiel sur l'agenda international. Nous espérons que le Forum mondial de l'eau ainsi que les initiatives parallèles que sont le forum préparatoire coordonné par France Libertés et le forum alternatif déboucheront sur une feuille de route pour Rio+20.